Comptes rendus

Michel Venne (dir.), Justice, démocratie et prospérité. L’avenir du modèle québécois, Montréal, Québec Amérique, 2003, 254 p. (Débats.)[Record]

  • Simon Langlois

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  • Simon Langlois
    Département de sociologie,
    Université Laval.

Les 15 et 16 février 2003 – par -28o C – plusieurs centaines de citoyens se sont réunis à Montréal pour réfléchir sur le modèle québécois à l’invitation de Michel Venne. Ce colloque-débat faisait suite à un Appel pour un changement lucide et éclairé, publié dans Le Devoir daté du 7 décembre 2002 et reproduit dans l’ouvrage Justice, démocratie et prospérité qui rassemble les principales contributions qui y ont été présentées. « Bien des Québécois vivent avec le sentiment que leur société est bloquée. Que rien ne marche », constate Michel Venne dans les premières lignes de son livre. Cette représentation sociale est maintenant familière à qui lit les journaux : nous payons trop d’impôts, l’école forme des ignorants, le système de santé est inefficace, les régions se vident, le taux de suicide des jeunes augmente, les entreprises québécoises sont vendues à des Américains, entend-on ici ou là. Excès de pessimisme ? Oui, estime Jean-François Lisée qui livre un intéressant bilan du modèle québécois si critiqué maintenant en certains milieux, dans la contribution la mieux documentée du livre. Le procès du modèle québécois lui semble non fondé car il a accumulé des réussites en matière de croissance et de rattrapage économique, mais aussi sur le plan de la répartition plus juste des revenus courants. Une fois les ajustements nécessaires faits afin de tenir compte des champs de responsabilités, le Québec n’a pas plus de fonctionnaires que l’Ontario, un reproche qu’on a souvent entendu de la part de politiciens. Ou encore, l’écart de niveau de vie entre l’Ontario et le Québec disparaît lorsqu’on évalue la valeur des biens et services dispensés par l’État (garderie à cinq dollars – maintenant sept – ou assurance-médicaments, par exemple). Lisée montre que les Québécois paient plus d’impôts que les Ontariens, certes, mais ce que ces derniers économisent en impôts sert en bonne partie à payer des coûts d’électricité nettement plus élevés. Enfin, les Québécois reçoivent plus de services que les Ontariens pour leurs impôts. Lisée critique la sinistrose ambiante et s’inquiète qu’une approche néolibérale ne conduise finalement qu’à moins de services réels aux ménages et n’entraîne qu’une hausse des inégalités, menaçante pour le tissu social. Mais en quoi consiste au juste ce modèle québécois, décrié par les uns et vanté par d’autres et dont ce livre entend faire le bilan ? Il caractérise d’abord la prise en charge étatique, à partir des années 1960, de grands pans de la vie publique comme la santé, l’éducation et les services sociaux – comme ce fut aussi le cas dans les autres provinces canadiennes au même moment, il faut le rappeler. Ce n’est donc pas là un aspect spécifique à l’État québécois. Mais comme le Québec était le seul État francophone en Amérique du Nord, il a été amené à intervenir de manière plus étroite dans l’économie (Hydro, Caisse de Dépôt, etc.), créant ainsi des voies de mobilité sociale collective qui ont joué un rôle dans la constitution d’une classe moyenne francophone, comme l’avait bien vu Hubert Guindon, dès le départ, avec une rare lucidité. L’État provincial a permis aux Canadiens français de sortir de leur marginalité économique, et ce modèle a conduit à l’émergence de Québec Inc., une expression inventée par notre collègue Jean-Jacques Simard dans les pages mêmes de cette revue. La contribution de Benoît Lévesque (elle aussi remarquable) retrace les orientations de ce modèle et les mutations qui l’ont marqué en cours de route, car il a bien changé au fil du temps, rappelle-t-il avec raison. L’effort de concertation entre différents acteurs sociaux (syndicats, coopératives, entreprises, associations diverses) a différencié le Québec des …