Comptes rendus

Gilles Bibeau, Le Québec transgénique : science, marché, humanité, Montréal, Boréal, 2004, 453 p.[Record]

  • Éric Gagnon

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  • Éric Gagnon
    Centre de santé et de services sociaux Québec Sud
    et Département de médecine sociale et préventive,
    Université Laval.

La recherche et l’industrie de la génétique connaissent depuis plusieurs années un important développement, ainsi qu’un intérêt et une publicité en raison des espoirs et des craintes qu’elles suscitent. Le Québec n’y échappe pas, et y trouve même le moyen d’afficher sa spécificité, en même temps que son insertion dans la nouvelle économie mondialisée, comme le montre l’anthropologue Gilles Bibeau dans un ouvrage engagé, polémique par moments, sur l’économie et la politique du gène. Trois grandes questions y sont successivement traitées, bien que son auteur n’ait construit son ouvrage, ni ne le présente exactement de cette façon : d’abord la cartographie et l’homogénéité relative du génome québécois, qui le rend intéressant pour la recherche, ensuite les questions éthiques et politiques que pose le développement de la recherche et de l’industrie génétique, enfin le problème général touchant la part des gènes dans l’histoire des individus et des sociétés. Trois gros sujets, aux multiples aspects, que décline en trois mots le sous-titre : science, marché, humanité ; en somme, trois livres dans un. Mais Gilles Bibeau ne manque pas d’ambition, ni d’assurance (qui se reflète dans sa manière d’écrire au je et d’user du verbe démontrer), servies par une grande capacité de synthèse, qui lui permet de ramasser un grand nombre d’informations et de questions, et de les restituer dans un récit toujours agréable à lire. Très bon narrateur, il raconte l’histoire de la recherche, des préoccupations scientifiques et industrielles, des alliances, des rivalités et des orientations prises par des entreprises, de l’élaboration et de la transformation des programmes de recherche. Mais ce qui fait surtout l’intérêt de ce livre, c’est la vue d’ensemble, d’avoir cherché à ramasser et à articuler tous les éléments (scientifiques, politiques et éthiques) du débat soulevé par la génétique, de manière à l’élargir et l’élever. Arrêtons-nous à chacune de ces trois grandes questions. La première touche à la cartographie des génomes. Comme celui de l’Islande ou des Mormons de l’Utah, le génome québécois intéresse les chercheurs et l’industrie en raison de sa prétendue homogénéité, attribuée à ce qu’on appelle « l’effet fondateur », l’idée que le profil génétique des premières générations d’immigrants a peu varié en raison d’un faible apport de gènes étrangers et des pratiques matrimoniales. L’homogénéité génétique du Québec est une idée d’autant plus facilement acceptée, qu’elle peut faciliter l’identification de gènes prédisposant à certaines maladies. En reprenant les travaux des démographes et des historiens touchant les contacts et les différentes vagues d’immigration, Bibeau va cependant soutenir que le bassin génétique québécois n’a jamais été homogène. Il ne suffit d’ailleurs que d’un très faible taux d’échange entre deux populations pour briser l’homogénéité. Mais l’argument le plus fort de Bibeau ne se situe pas sur le plan de la démographie ou de la génétique des populations. Ce qui fait l’intérêt du Québec (et de l’Islande, incidemment) pour la recherche et l’industrie, c’est l’existence (en raison notamment d’une passion nationale pour la généalogie) de banques où sont enregistrées les informations généalogiques et démographiques d’une très grande partie de la population, et un système de santé universel et public qui permet la centralisation de tous les dossiers médicaux informatisés par un seul organisme gouvernemental (la Régie de l’assurance maladie). Ce qui fait l’intérêt du génome québécois, c’est la possibilité en somme, avec la constitution d’une banque d’ADN, de croiser trois fichiers : démographique, médical et génétique. À cela s’ajoute un soutien par les gouvernements provincial et fédéral de l’industrie des biotechnologies, dont on attend qu’elle contribue à la consolidation de nos structures nationales de recherche et au développement économique. Il s’agit de se positionner avantageusement dans la …