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Né à Québec le 16 février 1932, André Billette est décédé dans sa ville natale le 8 avril 2012. Il a enseigné au Département de sociologie de l’Université Laval de 1977 jusqu’à sa retraite en 1999. Philosophe de formation, formé à la psychanalyse, puis docteur en sociologie, André Billette a su combiner pendant toute sa carrière son intérêt pour les questions philosophiques et pour la théorie sociologique avec sa passion pour l’enseignement universitaire et pour la recherche empirique. Il a largement contribué à former un grand nombre d’étudiants au premier cycle à l’époque où la sociologie était une discipline courue et il a dirigé un grand nombre de thèses de doctorat et de mémoires de maîtrise.

Titulaire d’une licence en philosophie de l’Université de Montréal (1962), André Billette a obtenu une maîtrise en sociologie de l’Université de Chicago en 1965. Il y a fréquenté le célèbre National Opinion Research Center (NORC) où il a fait l’apprentissage des méthodes de la recherche empirique et des techniques d’enquêtes quantitatives. Son séjour à Chicago lui a aussi permis de découvrir l’approche de la théorisation ancrée de B. Glaser et A. Strauss, qu’il a mise en pratique dans ses travaux de recherche, développant même un système de codification qui lui était propre et qu’il avait peaufiné au fil des ans.

Après son séjour à Chicago, André Billette a poursuivi la recherche qu’il y avait amorcée dans son mémoire de maîtrise en sociologie – qui a porté sur le phénomène de la conversion religieuse – en s’inscrivant à l’Université de la Sorbonne, où il a travaillé avec le professeur Henri Desroche – sociologue connu pour ses travaux en sociologie de la coopération et pour ses études en sociologie des religions. Il est revenu de Paris avec un doctorat de troisième cycle en sociologie soutenu à la Sorbonne en 1970 et avec un doctorat d’État ès lettres de l’Université de Nanterre en 1973. André Billette a par la suite publié sa thèse principale sous le titre Récits et réalités d’une conversion (Les Presses de l’Université de Montréal, 1975). Son doctorat d’État avait porté sur de nombreux cas de conversion religieuse ; en voulant revoir les personnes interviewées afin de les interroger plus à fond deux ans après un premier entretien, il avait été frappé par les divergences sur des dates ou des faits relatifs à ces conversions. Il avait ainsi pu constater que les réalités observables avaient souvent peu à voir avec les représentations que les convertis pouvaient s’en faire. Il en avait conclu que le récit, socialement construit, pouvait devenir réalité.

Dès son retour au pays, André Billette est entré à l’emploi de l’École de service social de l’Université de Montréal, où il a dispensé un enseignement sur les politiques sociales dans une perspective de comparaison internationale jusqu’en 1975. Il a par la suite oeuvré au ministère de la Santé et du Bien-être du gouvernement fédéral pendant une année avant de passer à l’emploi de l’Université Laval comme professeur agrégé ad eumdem en 1977. Un de ses tout premiers séminaires de 2e et 3e cycles à Laval a porté sur les politiques sociales du Québec, de la Suède, de l’Iran, du Sri Lanka et de Hong-Kong, ce qui ne manquait pas d’originalité à l’époque. Il avait pu financer des séjours dans ces pays à l’aide d’une bourse de recherche. Homme de terrain, André Billette invitait aussi ses étudiants à s’engager dans des comparaisons internationales.

Au fil des ans, ses enseignements ont été très variés : théories du changement social, sociologie appliquée, initiation à la position d’un problème, sociologie politique, sociologie du travail, mouvement ouvrier et syndicalisme, sociologie des organisations, politiques sociales comparées sont les principaux cours dispensés au Département de sociologie de l’Université Laval.

Un homme de terrain

L’intérêt d’André Billette pour la recherche empirique et la théorie sociologique inspirée par le terrain en a fait un digne représentant de ce que l’on a quelques fois désigné par « l’école de Laval » en sociologie. Sa passion pour le terrain l’a par ailleurs poussé à s’investir considérablement dans la recherche subventionnée par les grands organismes nationaux. Pour le sociologue Billette, l’université devait être ouverte aux grandes questions sociales, tant les problèmes sociaux de l’heure que les mutations en cours. Il estimait que l’Université ne devait surtout pas devenir une tour d’ivoire et que la sociologie se devait de produire des savoirs fondés empiriquement et de livrer des connaissances susceptibles d’application.

Son incursion dans le secteur de la santé lors de son passage au gouvernement fédéral a donné lieu à la publication d’une étude originale sur les inégalités sociales devant la santé – un thème de recherche neuf à l’époque – qui a été publié dans Recherches sociographiques. Il a lancé d’autres projets de recherche en santé, dont un sur l’organisation du travail chez les infirmières aux prises avec le système PRN (Planification des ressources en nursing), un système de gestion au coeur d’un enjeu de rationalisation du travail en contexte de compressions budgétaires. Il a par la suite étudié l’immigration et la mortalité et il a effectué une enquête sur le travail dans sept CLSC de la région de Québec. L’un des premiers, il a étudié « l’informatique et le travail humain », pour reprendre le titre d’une subvention obtenue du CRSH, s’intéressant à l’informatisation du travail de bureau alors en plein développement, s’attachant ensuite à analyser « l’organisation du travail et la santé des auxiliaires en saisie de données ». Ces recherches ont alimenté la rédaction de son livre Travailler comme des robots (avec Jacques Piché, Presses de l’Université du Québec, 1986) et de très nombreux articles scientifiques.

Dans les dernières années de sa carrière, il a mené des travaux sur les PME de la Beauce et sur l’ALCAN au Saguenay, s’intéressant en particulier aux liens de confiance entre les acteurs économiques impliqués, autre thème novateur de recherche. L’une de ses recherches a d’ailleurs porté sur l’ensemble du système industriel de la Beauce, un travail qui a apporté des réponses précises à ce qu’on a appelé parfois « l’énigmatique succès beauceron ». L’analyse de ses réalisations en recherche empirique (dont nous n’avons évoqué qu’un échantillon) reste à entreprendre et elle témoignerait amplement de ce que Paul Lazarsfeld appelait « la recherche sociale appliquée ».

André Billette a pris soin de diffuser ses travaux dans de nombreux colloques et congrès scientifiques et il était un participant assidu aux Congrès de l’ACFAS et à celui des Sociétés savantes du Canada. Il y a présenté bon nombre de ses travaux en associant ses étudiants aux communications qu’il y proposait. Il a aussi participé aux grands congrès internationaux dans ses domaines d’intérêt. Il a enfin pris soin de faire un grand nombre de conférences à des auditoires plus ciblés en milieu de travail notamment, comme les regroupements régionaux de caisses populaires, les syndicats ouvriers, les spécialistes en santé au travail, les associations d’entrepreneurs de PME, etc. Il a été un universitaire soucieux de diffuser ses connaissances et les résultats de ses recherches auprès des publics concernés – depuis les employés et les travailleurs jusqu’aux gestionnaires et responsables des appareils administratifs ou syndicaux – ne se limitant pas à s’adresser à ses pairs universitaires.

Érudit, intéressé par les grandes questions philosophiques et par la théorie sociologique, chercheur de terrain, André Billette aimait partager ses réflexions sur un grand nombre de sujets avec quelques proches parmi ses étudiants ou ses assistants. Bon nombre d’étudiants de 2e et 3e cycles qu’il a formés se retrouvent eux-mêmes impliqués dans des instituts ou centres de recherches ou encore enseignent à l’Université. Tous conservent le souvenir d’un homme passionné par son travail de sociologue et gardent la mémoire d’un professeur disponible et généreux de son temps.