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À la suite des événements du printemps érable, Nicolas Lévesque a remanié Teen Spirit. Essai sur notre époque, un ouvrage paru en 2009. Il en a changé le titre car, écrit-il, « nous entrons – à nouveau et pour la première fois – dans l’âge de la responsabilité, de l’humilité, de l’empathie et de la réflexion. C’est la fin du teen spirit » (p. 6). Les manifestations étudiantes et les discours qu’elles ont suscités marquent donc une coupure entre une société québécoise en marche et une autre, métaphoriquement figée à l’adolescence, période idéalisée et fantasmée dans un « espace public obsédé par les enjeux du corps, de l’image, de la ’gang’, de l’humour, de l’identité instable, de l’humeur changeante » (p. 26).

Les représentants de la génération X ont refusé d’être un nouveau trophée pour leurs parents dans un contexte néolibéral difficile et une nationalisation ratée. Ils ont vécu une « adulescence » visible à ses symptômes : la popularité des humoristes et des superhéros qui permettent de sortir un instant de l’impuissance de leur génération ; le Tanguy dépendant de ses parents qui, prenant « inconsciemment les problèmes sur son dos, […] évite ainsi à sa mère/ou son père l’introspection redoutée » (p. 33) ; le désengagement face à l’omniprésence du travail, un refus où « l’apolitique est politique » (p. 34).

Selon Lévesque, il est normal de se montrer anxieux lorsque l’on fait face à des changements qui restent encore à ancrer, normal aussi de s’inquiéter devant un relativisme apparent des valeurs et un avenir difficile à cerner. L’auteur fait souvent appel à la psychanalyse pour justifier ses propos, donnant au masculin et au féminin une place originale qui sort des chemins habituels : « Nous n’assistons pas au déclin du père, mais à un chambardement de la place historico-politique du Père. […] cette perte ouvre, par-delà l’angoisse de l’inconnu et de l’imprévisible, la possibilité d’inventer de nouvelles formes d’autorité sociale et familiale. Tant que le Père de la tradition reste ouvertement ou secrètement idéalisé, les pères et les mères à venir demeurent inconcevables » (p. 96). La société québécoise doit laisser entrer le féminin dans ses rapports aux mondes politique, économique, scientifique et social.

Lévesque s’appuie sur son expérience de psychologue pour dénoncer l’usage trop répandu des médicaments pour contrôler les pulsions au lieu d’offrir au patient une compréhension attentive. Ce faisant, il n’hésite pas à briser la position du spécialiste emmuré dans son sacro-saint silence (p. 127). Les psychotropes sont devenus les nouvelles camisoles de force pour faire disparaître un symptôme dérangeant sans chercher à en connaître la source : « L’avenir n’est pas bouché, on le gave comme une oie » (p. 119).

Les thèmes sont abordés à travers de courts chapitres, eux-mêmes constitués de brèves sections. Ce montage synthétique donne parfois une impression d’ouvrage saccadé où se succèdent les phrases-chocs. L’auteur a beaucoup épuré son propos, mais des chapitres plus longs auraient permis d’étoffer davantage la démonstration ainsi que les liens entre les sections.

Malgré cela, Nicolas Lévesque a remporté son pari en renouvelant son essai, car la mise à jour qu’il lui a fait subir a fait gagner celui-ci en pertinence. Le Québec vers l’âge adulte est un livre facile d’approche de par son langage et sa concision. Il permet d’élargir la réflexion sur les événements du printemps 2012. L’auteur, tout en gardant le ton d’un intellectuel « optimiste, sans être naïf » (p. 92), fait porter la responsabilité des changements à la génération Y, mais il n’en oublie pas pour autant les X qui ont pour mission de « les aider dans l’ombre » (p. 9). Rafraîchissant.