Comptes rendus

Micheline Dumont et Louise Toupin, La pensée féministe au Québec. Anthologie [1900-1985], Montréal, Remue-Ménage, 2003, 750 p.[Record]

  • Johanne Daigle

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  • Johanne Daigle
    Département d’histoire,
    Université Laval.

À l’heure où la pensée féministe, encore et depuis longtemps ignorée hors des cercles initiés, est sujette au discrédit des bien-pensants et à l’opprobre médiatique, l’ouvrage monumental de Micheline Dumont et Louise Toupin offre une illustration remarquable de l’ampleur et de la diversité, de la richesse et du bien-fondé de cette pensée multiforme qui persiste et résiste contre vents et marées. Cette anthologie nous fait parcourir la trajectoire du XXe siècle, « le siècle des femmes » (Robertine Barry, 1895) et comprendre que le féminisme l’a marquée de son empreinte indélébile comme aucune autre pensée politique. Loin d’assister à sa chute, comme l’ont annoncée plusieurs, la lecture de cette oeuvre de 750 pages nous fait découvrir une pensée qui, nonobstant les étiquettes utilisées pour l’appréhender : « féminisme chrétien, maternel, réformiste, social, libéral, humaniste, radical, « de la différence », lesbien, « culturel », pose les femmes « comme sujets de l’histoire, et comme sujets révoltés » (p. 21). Cette position des auteures qui ont voulu faire comprendre « comment les femmes des générations précédentes ont formulé leur révolte, comment elles ont expliqué la cause de leur subordination, comment elles ont structuré leurs revendications » (p. 22), permet de plonger au coeur de la pensée de plus de cent trente femmes et groupes de femmes, parfois anonymes, qui habitaient le Québec, étaient engagées dans l’action concrète ou qui s’exprimaient à partir d’une pratique relevant du féminisme. On suit ainsi l’évolution de la pensée féministe à travers cent quatre-vingt-six textes, regroupés selon trois grandes périodes historiques témoignant de cette évolution : le féminisme et les droits de la femme, 1900-1945 ; le féminisme comme groupe de pression, 1945-1985 ; le féminisme comme pensée radicale, 1969-1985. Les thèmes abordés associés aux grands enjeux pour les femmes sont ceux du droit à l’instruction et au travail, des droits civils et civiques et du droit criminel, des droits sociaux, de l’engagement et de la représentation politique et plus récemment du corps envisagé sous les angles de l’avortement et de la contraception, de la reproduction et de la santé, de la violence et du viol, de la pornographie, de la sexualité, de l’érotisme et de l’amour, ainsi que les questions de l’hétérosexualité et du lesbianisme, du travail invisible, de la marginalisation, de l’action communautaire et du pouvoir, de la politique et du pacifisme. Tous les textes présentés sont insérés dans leur contexte de production et dans le contexte historique plus large avec sobriété, voire avec retenue, les auteures se gardant de juger les propos qu’elles présentent. Il faut lire ce que disent ces femmes à propos du féminisme. Joséphine Marchand-Dandurand écrivait en 1901 : « À quoi vise cette agitation dont le mouvement comme une marée puissante s’étend à tous les pays du monde ? Que signifie cette levée volontaire d’une armée active, ardente mais pacifique ? Ce mouvement, c’est un réveil de la responsabilité féminine » (p. 46). Idola Saint-Jean affirmait pour sa part en 1937 : « Le grand courant auquel le féminisme doit son impulsion première et le renouvellement continuel de ses énergies est bien le sentiment de la solidarité sociale » (p. 58). Entre 1958 et 1961, Adèle Lauzon exprimait le point de vue suivant : « Je ne crois pas non plus que la femme en tant que telle ait un rôle particulier à jouer dans la société. Elle a un rôle à jouer en tant qu’individu et que citoyenne » (p. 437). Plus récemment, d’autres militantes témoignaient d’une pensée qualifiée de « radicale » et exprimée ainsi par le Front de libération des femmes en 1970 : …