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La Conquête fut longtemps le centre de la narration historique québécoise et bien des historiens fondateurs de la discipline au Québec y ont consacré de longues pages. Pourtant, les conséquences de ces événements restent encore surtout le sujet de spéculations et de théories plutôt que de recherches fondamentales. Répondant à l’appel de Tom Wien, Jacques Mathieu et Sophie Imbeault ont tenté de renouveler les approches de recherche sur ces événements. L’intention première de Mathieu et Imbeault est bien inspirée : saisir les effets directs des manoeuvres militaires de la Guerre de Sept Ans sur la vie quotidienne des Canadiens et des réfugiés acadiens de la vallée du Saint-Laurent. Plus encore, ils abordent la guerre pour ainsi dire au niveau du sol. « Nous avons voulu mettre des noms sur les victimes de cette tragédie » (p. 10).

À travers un appareil statistique aussi complet que ce que permettent les archives, les auteurs révèlent les conditions de vie de la société civile pendant et après les combats, en tenant compte de la destruction de Québec pendant les bombardements, par exemple. Se référant à Bernard Andrès, les auteurs rappellent « que le siège de Québec détruit plus que les maisons; il brise le sentiment d’appartenance » (p. 20) de ses habitants qui perdent maisons, possessions et familles sous les boulets. Cependant, pour atteindre ce vécu de la guerre, il leur a fallu atteindre « la singularité de la vie des personnes » (p. 20).

Pour ce faire, le travail d’archives fut colossal. Il leur fallut retrouver la trace des combattants des batailles du printemps et de l’automne 1759 et celle de leurs familles parmi les sources primaires partielles et dispersées, dans le but de répertorier les décès sur les champs de bataille, mais aussi les morts causées par les divers traumatismes liés à la guerre, à la famine, aux infections, aux stress post-traumatiques, etc. Mathieu et Imbeault dressent le portrait d’une société canadienne dont toutes les communautés, toutes les familles sont touchées par la mort de miliciens, mais aussi celle de leurs épouses, frères, soeurs, enfants, dont un nombre effarant de nouveau-nés, dans les quelques années suivant le siège de Québec. Ils démontrent clairement que la société canadienne fut frappée de plein fouet par cette guerre de conquête, dans l’intimité des familles, dans leur chair, alors que les travaux précédents s’étaient principalement concentrés sur les classes dirigeantes de la Nouvelle-France, n’éclairant que ceux qui avaient pu quitter les territoires conquis pour rejoindre la métropole française. Plus encore, les auteurs démontrent ici comment les communautés ont compensé pour le déplacement des populations, la destruction des villages et la disparition des registres de paroisse. En prolongeant à toute la vallée du Saint-Laurent le travail effectué par Gaston Deschênes sur la Côte-du-Sud, Mathieu et Imbeault renouvellent les recherches sur cette période.

Il reste, néanmoins, que La guerre des Canadiens est plutôt un répertoire analytique qu’une monographie. Les chapitres thématiques n’ont pas de structure narrative claire. Malgré des introductions et des conclusions plus qu’intéressantes, le livre oscille entre des présentations statistiques, des tableaux et des paragraphes d’analyse. Ceci n’altère en rien l’excellence de la masse de travail réalisée par Mathieu et Imbeault, mais cette structure rend la lecture plus difficile et quelque peu répétitive. En conséquence, il est peu probable que l’ouvrage trouve un auditoire auprès du grand public.