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Fondé en 1909 par Mgr François-Xavier Cloutier, évêque de Trois-Rivières, l’hebdomadaire Le Bien public participe directement de la mouvance des périodiques catholiques, comme L’Action catholique de Québec, inspirés par la doctrine sociale catholique et qui visent, notamment, à combattre la presse neutre. Doté de ses propres presses à partir de 1912, l’hebdomadaire accumule déficit sur déficit jusqu’au moment où l’archevêché décide de le céder en 1933 à deux jeunes hommes, Clément Marchand et Raymond Douville, qui seront assistés par Mgr Albert Tessier, qui connaît bien à la fois les nouveaux directeurs et le périodique. Ensemble, ils réussiront à redresser l’entreprise, qui connaîtra un rayonnement à l’échelle du Québec, grâce à ses réseaux et à la maison d’édition.

Le Bien public finira par intégrer en effet une maison d’édition, et l’entreprise éditoriale régionale connaîtra une longévité exceptionnelle au 20e siècle. Pourtant, elle a fait l’objet de peu d’études jusqu’ici et, surtout, elle n’avait jamais été analysée dans sa globalité. C’est maintenant chose faite avec le livre de Maude Roux-Pratte, qui couvre, en cinq chapitres, l’ensemble des 69 ans d’existence de l’entreprise sous ses trois facettes.

Sans exclure les méthodologies propres à l’histoire de la presse, par exemple, l’analyse de contenu des publications du Bien public, l’auteure a choisi d’analyser son histoire à partir de l’angle des réseaux. Elle s’en explique ainsi : durant 69 ans, l’entreprise doit s’adapter à plusieurs changements sociaux, culturels, politiques et économiques et, parmi les facteurs de sa réussite, se trouvent les réseaux des trois dirigeants qui, certes, ne l’expliquent pas à eux seuls, mais qui sont une clé fondamentale pour comprendre sa longévité. Il faut la féliciter de son choix : sa démonstration est convaincante.

L’étude des réseaux s’est faite à partir de trois axes : le journal, véritable vitrine littéraire qui représente un espace à partir duquel il est possible de repérer les individus qui gravitent autour, de voir comment se construisent les réseaux et comment ils servent les intérêts des membres; les réseaux personnels des dirigeants par l’étude de leur correspondance et enfin l’étude d’un noyau d’individus à travers les différents cercles et associations qu’ils investissent. À partir de ces pôles d’analyse, et considérant que les réseaux du journal ne sont pas, par exemple, les mêmes que ceux de la maison d’édition ou de l’imprimerie, l’auteure a choisi de mettre l’accent sur la pluralité des réseaux plutôt que sur les frontières servant à les délimiter. Elle réussit ainsi à mettre en relief la diversité de ces réseaux et l’usage efficace qu’en font les directeurs pour le développement des trois entités de l’entreprise éditoriale, qu’il s’agisse du recrutement des auteurs publiés aux Éditions du Bien public, du renouvellement des collaborateurs de l’hebdomadaire ou de l’obtention de plusieurs contrats d’impression pour l’imprimerie. Alliances politiques, instances cléricales, institutions éducatives, ces réseaux débordent d’ailleurs l’institution littéraire, et ne sont pas confinés à l’appartenance régionale, du moins durant les années 1930 et 1940. Cela a sans nul doute contribué au succès de l’entreprise dans un environnement souvent fluctuant et peu propice.

Très bien documenté, combinant à la fois l’étude régionale, celle des réseaux et celle de l’histoire de l’imprimé, le livre de Maude Roux-Pratte constitue une véritable avancée pour la connaissance de la vie intellectuelle au Québec au 20e siècle et pour l’histoire du livre.