Notes critiques

L’étapisme tue l’imaginaireJean Décary, Dans l’oeil du sphinx. Claude Morin et les relations internationales du Québec, Montréal, VLB, 2005, 241 p.[Record]

  • Anne Legaré

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  • Anne Legaré
    Département de science politique,
    Université du Québec à Montréal.

L’ouvrage de Jean Décary est d’une actualité remarquable. Non par le thème de son sous-titre qui veut en faire une étude du rôle de Claude Morin dans l’édification des relations internationales du Québec mais par une conjoncture politique qui dépasse largement l’objectif que s’est fixé l’auteur. L’oeuvre politique de ce « sphinx » de la stratégie québécoise est en effet aujourd’hui confrontée à une évolution historique qui en fait apparaître de plus en plus les limites. Que l’on soit d’accord ou pas, comme le dit Louis Balthazar dans sa préface, les orientations politiques qui ont été données à ce mouvement, très étroitement arrimé aux choix stratégiques du parti qui le représente, ont démontré leur impact. Sans doute est-ce à son insu que l’auteur de cet ouvrage enfonce le clou de la responsabilité de Claude Morin dans la pensée étapiste qui domine les choix aussi bien tactiques que stratégiques dont le livre est le témoin. En confrontant ce livre à la réalité, une étude essentiellement élogieuse à l’égard des influences multiples et persistantes d’un esprit fin, subtil, habile et sachant louvoyer au gré des situations, on peut lire en filigrane les impasses d’une option devenue prisonnière de sa propre logique évolutive. Cet ouvrage rend donc bien justice à l’oeuvre d’un homme influent. Essentiellement penché sur les circonstances qui ont accompagné son action, les reconstitutions historiques permettent de révéler les obstacles, voire les embûches, mais aussi les acquis et les réussites qui ont été le fruit de cette volonté affichée de permettre au Québec d’exercer une autonomie relative dans le domaine des relations internationales en lien avec son affirmation nationale. Il invite indirectement à penser, au lendemain d’une élection fédérale qui a annoncé vouloir faire place, avec l’élection du gouvernement conservateur de Stephen Harper, à une présence spécifique du Québec sur le plan international dans les domaines de ses compétences, que Claude Morin doit y voir l’atteinte d’un objectif qui lui a été cher. Outre les faits et l’oeuvre littéraire de Morin qu’il convie, l’auteur a recours de surcroît, à des interviews qui soutiennent le bilan qu’il en tire. En cela, il s’agit d’un travail d’historien qui sait faire de façon explicite la part entre ce qu’il veut dire et ce qu’il ne veut pas dire. Ainsi, il s’épargne d’avoir à juger, sinon à analyser les dimensions énigmatiques qu’a prises la tournure de l’engagement de Claude Morin à l’endroit de ce qu’il percevait comme étant dans l’intérêt du Québec. C’est d’ailleurs au moment-même où Morin mettait en forme son dernier récit, « L’affaire Morin … » (Boréal), que Décary poursuivait avec lui, entre 2001 et 2004, les entretiens et la correspondance électronique qui l’ont guidé dans la rédaction de « l’oeil du sphinx ». L’ouvrage de Jean Décary ne laisse pas froid. Malgré son caractère universitaire, bien ficelé, découpé en dix brefs chapitres, sobre et aussi prudent que l’action de celui qu’il dépeint, le retour sur toutes ces années de quête de liberté et d’affirmation en même temps que de vaines recherches dans la compromission avec les rouages du fédéralisme ne peut laisser indifférent. Ou bien on y voit la fatalité du possible, justement appelée par Morin lui-même, « l’art de l’impossible », fatalité devant laquelle on accepte de s’incliner, ou bien on y voit les signes répétés d’erreurs stratégiques ne conduisant pas vers la destination poursuivie. Il faut bien l’admettre, la situation politique actuelle est à l’ombre de la pensée du sphinx… Ainsi, la périodisation retenue pour mettre fin au compte rendu de l’effervescence et des contradictions du rôle de Morin s’arrête-t-elle avec la disparition de celui-ci de la scène politique, …