Comptes rendus

Pierre Godin, René Lévesque l’homme brisé, Montréal, Boréal, 2005, 604 p.[Record]

  • Jean-Claude Picard

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  • Jean-Claude Picard
    Département de communication,
    Université Laval.

Pas facile de déboulonner le héros, de le faire tomber du socle sur lequel on l’a soi-même hissé. C’est pourtant la tâche délicate à laquelle s’est attaqué l’historien et journaliste Pierre Godin dans René Lévesque l’homme brisé publié en 2005. Cet ouvrage constitue le quatrième et dernier tome de la biographie de l’homme politique que Godin avait entreprise il y a plus d’une quinzaine d’années. Cet ultime volet raconte les sept dernières années de la vie de Lévesque, à partir du référendum perdu de mai 1980 jusqu’à son décès le 1er novembre 1987. Un livre triste à en pleurer où l’on voit descendre aux enfers l’homme que tant de Québécois ont aimé et admiré, celui en qui ils ont reconnu le vrai héros de la Révolution tranquille, le champion de la nationalisation de l’électricité et, quelques années plus tard, le porteur de la libération nationale de tout un peuple. Toutes ces réalisations et toutes ces espérances si bien décrites dans les trois premiers tomes de la biographie se voient fracassées dans un dernier ouvrage où Lévesque n’est plus que l’ombre de lui-même, un homme vaincu par ses ennemis, trahi et abandonné par les siens, échappant petit à petit le contrôle de son parti, de son gouvernement et même de sa vie pour graduellement sombrer, l’alcool aidant, dans une incohérence qui l’amènera à connaître des moments de grande dépression. Non que l’ouvrage, en dépit de son caractère imposant, apprenne quelque grande nouveauté à ceux qui ont suivi de près les dernières années de la carrière de René Lévesque mais lire toutes ces péripéties condensées en quelques centaines de pages crée un véritable choc. Comment, en si peu d’années, le héros a-t-il pu descendre aussi bas ? Est-ce l’usure provoquée par toutes les luttes qu’il a menées ? Est-ce tous ces coups politiques reçus à répétition, dont certains ont pu s’avérer plus mortels que d’autres ? Est-ce la trahison de ses compagnons de la première heure ? Est-ce sa légendaire indiscipline personnelle qui, avec l’âge, a fini par le submerger jusqu’à lui faire perdre toute grandeur et toute dignité ? Sans en retenir une plutôt qu’une autre, l’ouvrage de Godin suggère toutes ces explications et constitue, en dépit de son aspect absolument désolant, une excellente chronique des principaux événements qui ont marqué le deuxième mandat du gouvernement dirigé par René Lévesque, de 1981 à 1985. Le livre s’ouvre sur la défaite référendaire de mai 1980 où on voit un Lévesque, momentanément abattu, lancer son fameux À la prochaine fois sans qu’on sache cependant si lui-même y croit vraiment. Même si Lise Payette prétendra que cet échec constitue l’événement politique qui aura définitivement brisé l’homme, on a peine à la croire tellement le biographe nous dépeint alors un premier ministre toujours en pleine possession de ses moyens et occupé à requinquer des troupes passablement plus démoralisées que lui. Ce qui le conduira finalement à l’éclatante victoire électorale d’avril 1981, la plus importante jamais remportée par le Parti québécois, au détriment d’un Claude Ryan austère, sentencieux, au total mal-aimé des Québécois. Les quelques chapitres consacrés à cet épisode constituent le seul moment vraiment heureux de tout le livre. Au point que lorsqu’on en a terminé la lecture, on se dit que Lévesque aurait bien mieux fait de perdre cette élection tellement les quatre années suivantes ne sont qu’une suite ininterrompue de déceptions, d’échecs et de déchéance personnelle. À commencer bien sûr par le rapatriement unilatéral de la Constitution, à l’automne 1982, au terme de ce qu’il est convenu d’appeler La nuit des longs couteaux. Sans cependant nous apprendre rien de neuf, Godin relate …