Comptes rendus

Gérard Bouchard, Les Deux Chanoines. Contradiction et ambivalence dans la pensée de Lionel Groulx, Montréal, Boréal, 2003, 313 p.[Record]

  • Marie-Pier Luneau

…more information

  • Marie-Pier Luneau
    Département des lettres et communications,
    Université de Sherbrooke.

Quoi qu’il en dise, Lionel Groulx aura fait parler de lui beaucoup plus que l’espace d’un printemps, dans l’histoire culturelle du Québec. Depuis sa mort comme de son vivant, thuriféraires et pourfendeurs ont croisé le fer avec passion à son sujet. L’essai de Gérard Bouchard intitulé Les Deux Chanoines, n’a pas échappé à la controverse. On peut même affirmer que tout a été dit concernant ce livre scruté au peigne fin par la critique universitaire, qui y a décelé le meilleur et le pire. La réaction souvent enflammée provoquée par l’essai est d’ailleurs symptomatique de l’importance de Groulx comme symbole culturel. Si nous avions besoin d’une preuve de plus du statut mythique qui accompagne l’icône de Groulx, celle-ci nous est fournie par la polémique qu’a suscitée ce livre, débat dont on trouvera des traces dans les actes du colloque Un héritage controversé. Nouvelles lectures de Lionel Groulx, (VLB, 2005). On a surtout adressé au livre de Gérard Bouchard deux grands reproches, sur lesquels je reviendrai ici : 1) d’avoir rendu la pensée de Groulx inintelligible en dressant le portrait d’un penseur se contredisant à tous moments sur tous les sujets; 2) d’arriver à un constat implacable quant à la carrière de Lionel Groulx, qui se solde, selon Bouchard, par un cuisant échec. D’entrée de jeu, Gérard Bouchard met son lecteur en garde dans un « avertissement » formel, en appelant à l’ouverture d’esprit de celui-ci : « […] j’ai voulu démontrer que, pour chacun des thèmes et des sous-thèmes qu’il a abordés au cours de sa très longue carrière, Groulx a émis des opinions divergentes, incompatibles, affirmant à la fois le blanc et le noir. L’idée paraît insensée, saugrenue même, et terriblement irrévérencieuse. » (P. 10.) Un peu plus loin, Bouchard parle d’une pensée et d’une personnalité complexes, difficiles à décoder. L’auteur des Deux Chanoines s’est donné un objectif fort louable : débarrasser l’image de Lionel Groulx de la gangue dont elle est prisonnière, pour lui rendre toutes ses dimensions. Bouchard n’est pourtant pas le premier à s’être prononcé sur l’ambivalence de Lionel Groulx. Même de son vivant, ses contemporains ont eu du mal à saisir ce que signifiait par exemple son concept « d’État français ». Cette position était par ailleurs très clairement assumée par Julien Goyette dans l’anthologie qu’il consacrait à Lionel Groulx en 1998, recueil qui désirait déjà rendre à l’homme sa complexité : « Au contraire que certains semblent vouloir nous laisser croire, il ne possédait pas et ne pensait pas posséder la vérité révélée; sa carrière et son oeuvre témoignent de continuités et de contradictions, de convictions et de doutes, de réussites et de défaites. » (Julien Goyette dans Lionel Groulx,Une anthologie, Fides, 1998, p. 19.) Voilà d’ailleurs un blâme que l’on puisse légitimement formuler à l’endroit du livre de Bouchard, d’avoir fait tabula rasa en congédiant beaucoup trop rapidement plusieurs études sur Groulx, qui ont plus de mérites qu’il ne veut bien leur en reconnaître. Que Bouchard se propose donc de montrer les contradictions dans la pensée de Groulx m’apparaissait comme une bonne nouvelle : n’est-ce pas le propre de l’intellectuel que de refuser son adhésion à des systèmes de pensée préétablis en se remettant constamment en question ? Qui a fréquenté l’oeuvre de Groulx ne peut qu’applaudir à une des conclusions de Bouchard : « À moins que j’aie complètement erré, il faudra désormais s’abstenir de références simplistes à cet intellectuel contradictoire que l’on a trop vite fait de figer dans des rôles soit de modèle, soit de repoussoir : il se trouve à l’étroit dans l’un comme dans …