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La couverture laisse croire à un propos classique sur un concept classique auquel l’auteur aurait donné des couleurs – du rouge, du vert, les couleurs des Patriotes – pour en discuter dans le contexte de l’échec de la proclamation de la République du Bas-Canada. Mais ce n’est qu’une partie du propos. Car la figure de la République, si elle prend vie sous la plume musicale de Marc Chevrier lors du récit des Rébellions, est surtout taillée, longuement, dans un marbre d’érudition et avec une pléthore d’outils, et habillée de toutes les métaphores possibles, anthropomorphiques, paysagères et climatiques.

Ce livre, le sixième (sur sept) de Marc Chevrier, est une longue prosopopée amenant le lecteur, d’un chapitre à l’autre, à revenir au préambule pour se rassurer. Est-ce un livre d’histoire du Canada de la Nouvelle-France à nos jours? Est-ce une réhabilitation de l’École de Montréal? Est-ce un manifeste politique? Est-ce un pamphlet contre le Parti québécois? Contre les libéraux multiculturalistes? Une critique de l’université et de la communauté intellectuelle du Québec, dont il moque « [l]es éblouissantes théories et [l]es spéculations échevelées » (p. 86)?

Le lecteur chevronné ou patient, celui qui ne se laissera pas distraire par la kyrielle d’anecdotes sur le Régime français ou sur les affres constitutionnelles canadiennes, saura sans doute lire ce livre au-delà du recueil de textes obligatoires ‒ qu’il est aussi ‒ et voir le formidable ouvrage de synthèse de la pensée d’une bonne soixantaine d’auteurs : d’Aristote à Rosanvallon, en passant par Kohn et Burke, Parkman, Gilles Gagné et Daniel Jacques, sous forme de symphonie. L’indexation des références sera un outil fort apprécié des étudiants, alors que la maîtrise de la narration ravira les professeurs.

La proposition de Chevrier d’observer la République sous toutes ses coutures et dans plusieurs scénarios historiques ou non advenus, « pour faire avancer la discussion », a le mérite de vouloir faire sortir le Québec des cadres conceptuels habituels : la nation, la culture, la province, l’État. Car il est vrai que la République est absente du débat et des propos politiques du Québec. Il est vrai aussi qu’on connaît peu les tenants et aboutissants de la monarchie constitutionnelle et que la démocratie comme principe de légitimité semble être en crise, du moins si l’on en croit les unes des journaux et les taux de participation aux élections, même sur fond de crise sociale et de volonté de changement.

Au coeur du propos de Chevrier, une figure antagoniste se dresse enfin (p. 226) et permet au lecteur de situer le propos dans l’arène politique : les empêcheurs de fonder la République québécoise sont les antirépublicains, avocats défenseurs du statu quo. Ce texte est une défense et une illustration d’un principe fédérateur fort intéressant, la République, et un appel aux citoyens à se doter d’une constitution, « un formidable outil pédagogique […] un manuel où sont renfermés les principes de la collectivité » (p. 292). L’auteur montre une grande connaissance de la culture lettrée du Canada français, dispensant plusieurs clins d’oeil d’expressions et d’images tirées de journaux d’époque. S’il dédie son livre à Marc Brière (Pour sortir de l’impasse : un Québec républicain!, 2002) et André Patry, et s’inscrit dans une tradition de pensée républicaine québécoise en leur rendant hommage, Chevrier écrit pour les Québécois, « Pour un peuple qui se maintient à l’orée sans jamais traverser le bois » (p. 350), et les harangue en paraphrasant Beauvoir : « On ne naît pas citoyen, on le devient […]. La citoyenneté s’acquiert par un long apprentissage auquel veille la collectivité » (p. 285).

Ce Québec aurait une « propension à l’irréel » (p. 89) aussi à cause du vocabulaire politique qu’il emploie sans le connaître (p. 68). En effet, écrit Chevrier en piquant Jocelyn Maclure, Jocelyn Létourneau et Gérard Bouchard au passage, « […] pour être fondateur de cité, encore faut-il savoir maîtriser le vocabulaire politique de l’Occident » (p. 244). L’État, la province, la constitution, la monarchie et la démocratie passent à l’épreuve de la définition. La conclusion sonne : le Québec serait élisabéthain (p. 193)! Ce serait une curiosité oxymorique de l’histoire dont les racines remontent à l’Acte de Québec en 1774, confirmée par le couronnement télévisé d’Élizabeth II en 1953, qui empêcherait le Québec de se fonder vraiment.

Freinons la critique des sources secondaires en ce qui a trait à l’histoire de la Nouvelle-France et à l’histoire du monde, ou encore des commentaires d’un autre âge, témoins de l’impression tenace laissée par les lectures de Lionel Groulx, car ce n’est pas là que réside la substance du propos, quoique de nombreux distinguos s’imposeraient en ce qui a trait au choix du terme Conquête par exemple, du vocabulaire psychiatrique accolé à une collectivité ou du rôle d’Yvan Lamonde dans la participation à une re-narration du récit littéraire classique qui omettrait les idées politiques au profit des idées civiques (p. 164).

Malgré la dominance distrayante de la toile de fond sur laquelle se déploie l’argument, et bien qu’on y trouve beaucoup plus qu’une discussion sur le concept de république, ce n’est pas un livre qui crée une musique d’ambiance, même si les variations et digressions s’étendent sur plus d’une portée. La République québécoise est plutôt une partition importante pour le Québec d’aujourd’hui qu’il faut lire pour son argumentaire et sa synthèse de philosophie politique, pas pour son histoire identitaire et politique du Canada de la Nouvelle-France à nos jours.