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Lorsque la première mouture de cet ouvrage parut en 1986, on y trouvait déjà une perspective d’ensemble sur l’évolution du nationalisme québécois, de ses origines jusqu’aux années ambiguës qui ont suivi le référendum de 1980. En reprenant le fil de l’histoire, Louis Balthazar explique avec la même clarté les derniers épisodes de cette idéologie qui traverse l’histoire du Québec comme un fil conducteur, participant à tous les débats politiques, y compris les plus récents.

La force de l’ouvrage renvoie à sa cohérence. Selon l’auteur, la modération du nationalisme québécois est sa caractéristique dominante. Le plus souvent, il ne vise pas à constituer le Québec comme un pays indépendant, mais plutôt à défendre une « meilleure reconnaissance de la nation ». Le nationalisme québécois n’est donc pas fondamentalement indépendantiste mais autonomiste. Presque inlassablement, cohabiteraient ainsi des ambivalences, sinon des ambiguïtés, qui donnent au nationalisme québécois une équivocité certaine.

Cette modération n’est pas pour autant statique. Le nationalisme s’est renouvelé : il s’est combiné à d’autres courants idéologiques, en particulier le catholicisme, pendant la plus grande part de son histoire. Ce que Balthazar révèle avec insistance, c’est l’apolitisme du nationalisme d’avant 1960 – le Canada français – épris d’un messianisme quasi universaliste. Les dirigeants nationalistes voyaient souvent l’État négativement, tout comme le marché, refusant du même coup d’utiliser les compétences constitutionnelles pourtant disponibles depuis 1867. Ce n’est qu’avec les années 1960 que se constitue le nationalisme politique – proprement québécois – tel qu’on le connaît. L’État y joue alors un rôle moteur, installé dans une territorialité, se substituant à l’Église dans la livraison de services hospitaliers et scolaires, et provoquant du même coup un affrontement avec le nation building canadien, lui aussi dans une phase de déploiement.

Selon Balthazar, il n’y a qu’à trois moments que le nationalisme québécois serait sorti, du moins partiellement, du giron autonomiste. Pendant les années 1830, avec Papineau, puis du milieu des années 1960 jusqu’au référendum de 1980, et enfin de 1990, avec l’échec de Meech, jusqu’au dernier référendum, celui de 1995. Si le nationalisme propose alors bien plus que l’autonomie, il ne parvient pas malgré tout à mettre de côté catégoriquement les éléments associatifs avec le Canada. Le dilemme alors proposé, bien qu’adouci, reste néanmoins cornélien, trop tranché, pour la majorité traversée par la double appartenance canadienne et québécoise. Les échecs référendaires et les reculs qu’ils vont provoquer trouvent ici une clé interprétative rarement évoquée dans la littérature et l’historiographie. L’ouvrage n’est ni fédéraliste ni souverainiste : il traverse habilement les lignes de l’affrontement.

Au total, bien que l’ouvrage n’ait pas le style universitaire – peu de notes, de citations, de références – il nourrit indéniablement la réflexion du lecteur. On peut être en désaccord avec l’auteur, mais jamais on ne cesse de le suivre dans les méandres d’un nationalisme qui n’a pas fini sa route. Les spécialistes de l’histoire québécoise et des idées politiques n’apprendront rien de particulièrement nouveau, mais ils revisiteront autrement des points d’inflexion de l’histoire du Québec.