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Récemment traduit, ce livre très personnel est le récit d’une quête, celle non seulement de l’auteure, mais aussi de « sa communauté » – la minorité anglo-québécoise – vers la consolidation-confirmation de son existence. Si la littérature canadienne-anglaise des années 1940 et 1950 rayonne sur tout le continent à partir de Montréal, l’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976 et l’essor du nationalisme politique et culturel québécois, en particulier la défense et la promotion de la langue française dans l’espace public, auront comme effets collatéraux de couper les écrivains anglo-montréalais tant de la majorité anglophone du Canada que de la majorité francophone du Québec. Linda Leith se donne alors pour mission de mettre sur pied les associations et institutions dont a besoin pour survivre et se perpétuer une communauté. C’est donc l’histoire subjective de son activisme littéraire et culturel qu’elle relate avec plus ou moins de verve : la mise sur pied de la Quebec Society for the Promotion of English Language Literature (QSPELL), qui devient la Quebec Writers’ Federation (QWF), la création de l’événement littéraire Write pour écrire en collaboration avec l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), celle de la Fondation Metropolis bleu, qui récompense des oeuvres par ses prix et qui deviendra le festival littéraire international multilingue de Montréal, communément appelé le Blue Met, ou Metropolis Bleu.

Le regard « anglophone » qu’elle pose sur la société québécoise, à défaut d’être rafraîchissant, étonne – la Révolution tranquille est surtout coûteuse par ses programmes sociaux, la loi 101 franchement « choquante » pour une citoyenne cosmopolite – ou fait sourire, son fiston demandant : « Maman, c’est qui Bill 101? » La quatrième de couverture laisse entendre que le récit se place au-dessus du nationalisme, celui du Québec et celui du reste du Canada. Les Anglo-Québécois ayant glissé dans la faille entre ces deux plaies, raconter l’histoire de la renaissance de leur littérature supposait la transcendance de ce genre d’opposition pour enfin en finir avec les « deux solitudes ». Mais, en dépit de sa bonne volonté, l’auteure n’arrive pas à proposer une vision généreuse qui dépasserait les simples préjugés : elle insiste sur l’étroitesse d’esprit des francophones, les dépeint comme inutilement méfiants du bilinguisme et se plaît à célébrer l’ouverture internationale des anglophones. Sitôt chassés, partis pris et jugements reviennent au galop!

D’un côté, Leith condamne la lecture politique des réalités sociales, sous-entendant que le nationalisme (québécois) entache toutes choses, de l’autre, elle admet que, dans le contexte des années 1980 à 2000, toute volonté d’organiser le monde littéraire anglophone à Montréal était forcément politique – d’où, sans doute, le recours à Alliance Québec pour mettre sur pied la QSPELL et la QWF. Mais alors, comment reprocher aux Québécois francophones de voir dans le Blue Met une institution anglo-montréalaise? Enfin, centré sur l’expérience personnelle de l’auteure, ce récit ne pouvait manquer de présenter des biais, parfois agaçants. Le règlement de compte avec Denise Boucher, présidente de l’UNEQ de 1998 à 2000, en est un, qui s’étire inutilement sur plusieurs pages. Écrire au temps du nationalisme n’offre donc pas le dépassement annoncé des « deux solitudes », il s’en faut de beaucoup, mais son grand intérêt tient à ce qu’il propose une vue « de l’intérieur », inédite, de la trajectoire de la littérature anglo-québécoise, de sa gloire passée à son déclin puis à sa renaissance multiforme.