In memoriam

Maurice Lebel (1909-2006), un humaniste classique[Record]

  • Jacques Desautels

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  • Jacques Desautels
    Professeur à la retraite,
    Faculté des lettres,
    Université Laval.

Avec la disparition du professeur Maurice Lebel, qui nous a quittés le 24 avril dernier, une page de notre histoire se referme un peu plus. Une page qui évoque ce moment où la vie intellectuelle a pris chez nous un élan définitif, où des femmes et des hommes de valeur n’ont pas hésité à se dépenser pour donner une place meilleure à la vie de l’esprit, dans un monde qui n’acceptait pas facilement d’être dérangé dans ses certitudes. Maurice Lebel fut de cette race. Intellectuel de haute stature, il fut un professeur passionné qui a enthousiasmé des générations d’étudiants. Il fut aussi un éveilleur qui aura laissé une marque profonde dans le monde de l’éducation, au Québec comme au Canada. À sa manière, cet humaniste fut un bâtisseur de l’université nouvelle. Il entreprend sa carrière de professeur à l’Université Laval en 1938, au moment où une nouvelle faculté vient d’être créée : la Faculté des lettres succède à l’École normale supérieure. Signe des temps, on entend passer d’une institution vouée à la seule préparation des professeurs de collèges à une autre qui, elle, se souciera de former de véritables universitaires, des diplômés compétents et ouverts sur le monde, préparés à créer des connaissances neuves et à en faire profiter toute la société. Le mouvement est lancé : c’est alors que commencent à arriver les Luc Lacourcière et les Jean Lechevalier, les Félix-Antoine Savard, Jeanne Lapointe, Marcel Trudel ; avec ces personnages s’instaure une tradition intellectuelle qui marquera vivement le milieu du siècle, au Québec et ailleurs. Monsieur Lebel embrassera avec enthousiasme cette cause nouvelle. Avec son doctorat londonien et, sur ses légendaires carnets de notes, les noms de dizaines et de dizaines de savants qu’il a côtoyés à Londres, à Paris, à Athènes, il se met à la tâche. Le grec, bien sûr, sera son premier souci. La Faculté des arts et les collèges lui envoient leurs professeurs, lui-même appuie leurs efforts pour renouveler l’enseignement des études classiques ; il publie, il donne des conférences, il est présent partout, si bien qu’en peu de temps, son action porte fruit : un vent de fraîcheur se répand dans les collèges classiques, un renouveau auquel est associé le nom de Maurice Lebel. Il devient la référence. Sa notoriété ne tient pas qu’à son érudition. Durant ses études, il avait parcouru plusieurs pays d’Europe, avec un grand enthousiasme et une curiosité vive dont il ne s’est jamais départi. Il parle abondamment d’une Grèce qui n’a rien de théorique ou de livresque : il l’a parcourue à pied, il sait décrire concrètement une Acropole qu’il a vue, une plaine de Marathon qu’il a marchée. Combien d’étudiants verront naître à son contact le désir de partir, d’aller voir ailleurs ! Et de revenir, comme lui, doctorat en poche. Car l’un de ses soucis sera toujours de stimuler les étudiants, de les convaincre qu’il ne faut pas craindre de se hisser au rang des meilleurs. Il les met en contact avec des collègues des plus prestigieuses universités, il leur fournit de solides lettres de recommandation, et va même jusqu’à aménager pour eux le rendez-vous qui leur procurera la bourse dont ils auront besoin ! À la Faculté, les projets sont ambitieux : on veut développer, dans toutes les disciplines, un enseignement de très haute qualité. Les professeurs, hélas, ne sont pas très nombreux. Qu’à cela ne tienne, ceux qui sont en place se multiplieront pour combler les lacunes. C’est ainsi que Maurice Lebel, devenu secrétaire de la Faculté (il en deviendra doyen par la suite), fait intervenir les connaissances qu’il a acquises pour enseigner tout aussi …