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Cet ouvrage collectif résulte d’une initiative de la Chaire UNESCO-Université Laval sur le développement durable. À l’approche du dixième anniversaire du Sommet de la Terre de Rio de 1992, des chercheurs de différents champs disciplinaires ont été invités à fournir des réflexions et analyses en relation avec le développement durable. Il en est sorti un document de 14 textes produits par 22 auteurs. Les textes sont regroupés en quatre sections au contenu plus ou moins homogène.

Par sa référence à l’environnement et à l’économie, le concept de développement durable renvoie à des éléments et champs d’intérêt qui concernent tous les individus de la planète et à un degré quelconque pratiquement toutes les disciplines scientifiques. En raison de son contenu et de ses implications, il peut prêter à de nombreuses analyses et interprétations. C’est un aspect de cette réalité qui est mis en évidence dans ce livre. L’ensemble des articles contribue très bien à illustrer toute la richesse du concept tout en clarifiant des aspects importants et en donnant des exemples d’applications auxquelles il peut conduire. Certaines d’entre elles sont même plutôt inattendues. La multiplicité des angles de vision qui crée souvent un manque de cohérence dans un ouvrage collectif se présente comme un avantage dans le cas présent. Les analyses réalisées par différents spécialistes donnent au livre une valeur particulière. Les textes seront sans doute considérés d’intérêt inégal selon les domaines de préoccupation des lecteurs mais contribuent très bien par leur diversité à souligner les multiples dimensions du concept.

Dans une longue introduction, Louis Guay fournit un intéressant historique de la mise en place du concept en en faisant remonter les premières formulations à la fin du dix-neuvième siècle. Il en fait aussi une première présentation en traitant notamment des principes et des moyens du développement durable.

Quatre articles composent la première section de l’ouvrage intitulée : les aspects théoriques et méthodologiques du développement durable. On aurait pu ajouter le mot historique à ce titre car les considérations relatives à la mise en place du concept de développement durable prennent une certaine importance. Dans un premier temps, Jean-Guy Vaillancourt rappelle que ce n’est pas la Commission Brundtland qui a inventé le terme de développement durable et il fait état de nombreux travaux axés sur la protection de l’environnement antérieurs à 1988. Par après, il fait porter l’essentiel de son analyse sur Action 21, un volumineux plan d’action adopté au Sommet de Rio en 1992 pour réaliser le développement durable, et il fait état de diverses réalisations de ce plan d’action aux niveaux local et national. Tout comme le texte de Louis Guay, l’analyse de Vaillancourt contribue à informer sur la mise en place, la signification et la portée du concept de développement durable. D’autres auteurs reprendront par après des éléments de l’historique. Mais comme chacun le fait dans sa perspective en privilégiant des évènements particuliers, ce qui apparaît dans un premier temps comme des éléments répétitifs se révèle davantage comme des approches complémentaires.

À l’instar d’autres auteurs, Corinne Gendron s’attarde aux définitions du développement durable puis présente les résultats d’une recherche sur le discours écologiste des dirigeants et évoque l’idée qu’un nouveau paradigme de développement est en voie de naître chez l’élite économique. Ronald Babin s’inscrit dans une perspective historique et considère qu’une modernisation sociétale pourrait résulter de l’application du développement durable. En s’interrogeant sur la forme de modernisation, il met en parallèle deux projets de modernisation : « la modernisation écologique de l’économie et la modernisation sociétale des conditions d’existence ». Il termine sa réflexion en évoquant des initiatives d’ONG et de mouvements sociaux pour modifier la gouvernance à toutes les échelles territoriales. Benoît Gauthier s’inscrit dans une tout autre perspective qui est autant méthodologique que théorique et il présente un modèle de prise en compte du développement durable applicable à différentes situations. Il explore brièvement à son tour le concept de développement durable et fournit des illustrations d’application de son modèle à des cas québécois.

Trois articles prennent place dans la section : les applications du développement durable. L’un écrit par Gérard Duhaime, Anne Godmaire et Nick Bernard porte sur la sécurité alimentaire dans l’Arctique. Le deuxième signé par Louis Guay a pour titre : les problèmes écologiques globaux : objets de science et enjeux politiques. Dans le dernier, Marie-Josée Côté, Gaétan Poulin, Carlo Prévil, Benoît St-Onge et Jean-Philippe Waaub présentent un système d’aide à la décision pour la région de l’Outaouais. Ce sont trois textes aux orientations distinctes applicables à des échelles différentes. Tous trois contribuent à mettre en évidence les multiples interrelations et paramètres en cause dans le développement durable. Ils témoignent aussi d’une diversité d’approches méthodologiques pour gérer des situations à implications et composantes environnementales. Toutefois les deux modèles de gestion proposés ne peuvent en dépit de leur rigueur et du grand nombre de variables prises en compte éliminer les aspects aléatoires et les marges d’erreurs.

La troisième section de l’ouvrage axée sur les acteurs et les institutions du développement durable comprend trois textes qui ont relativement peu de liens entre eux. Denis Lemieux et François Des Roches traitent du cadre juridique du développement durable. C’est une très intéressante présentation du cadre juridique mis progressivement en place par les gouvernements du Québec et d’Ottawa en vue de favoriser le développement durable. On y trouve notamment de l’information sur le rôle du vérificateur général du Canada au regard des questions environnementales et sur celui du commissaire à l’environnement. Les mesures législatives existantes sont réparties en deux sections, l’une portant sur celles à caractère incitatif et l’autre sur les mesures à caractère normatif.

Pour leur part, Olivier Boiral et Gérard Croteau s’intéressent à la perception et à l’intégration du développement durable par les entreprises. L’imprécision du concept de développement durable et les multiples interprétations qui peuvent en être faites permettent aux entreprises de retenir celles qui leur conviennent le mieux. Cela n’empêche toutefois pas certaines d’entre elles de s’inscrire concrètement dans la voie du développement durable. Laval Doucet fait état d’un projet de développement communautaire en Gaspésie dont le lien avec le développement durable semble de prime abord plutôt ténu. Les acteurs du développement durable sont ici les résidents de petites localités mobilisés vers la mise en place de projets de diversification économique. Le projet s’inscrit au regard de son auteur dans une vision utopiste. Il faut en effet se rappeler que les résidents de la Gaspésie n’en sont pas à leur première démarche en vue d’améliorer leurs conditions de vie et que le contexte géographique ne les favorise pas plus aujourd’hui que dans le passé. Néanmoins, l’intervention amorcée par Laval Doucet est originale et porte sur un facteur majeur de développement : les individus. Cet article de Doucet s’inscrit dans un volet plutôt négligé du développement durable, celui des disparités régionales. La dimension équitable du développement économique est davantage considérée dans la perspective des disparités entre pays qu’entre régions.

La dernière section de l’ouvrage a pour titre les dimensions normatives du développement durable. Elle contient trois articles qui en fait ont plus ou moins de liens avec les questions normatives. Dans une analyse fort instructive Marie-Hélène Parizeau procède à un examen critique du concept de développement durable. Elle dégage le cadre éthique et politique du concept et elle établit les liens entre le concept de développement durable et le concept de développement. Elle procède également à une analyse comparative des rapports Brundtland et du Club de Rome pour voir les filiations conceptuelles et les ruptures qui existent entre les deux documents. Évelyne Dufault s’intéresse à la place que prend le développement durable au Brésil. Par des analyses du discours et des politiques du pays elle en arrive à la conclusion que les normes de développement durable se diffusent au Brésil, ce qui permet notamment au pays de se donner une légitimité dans le cadre du processus d’intégration des Amériques amorcé en 1994. Elle utilise cependant le mot norme davantage dans le sens de pratique et de discours que d’outil rigoureux de contrôle.

Le dernier texte, écrit par François Blais, ne pouvait pas être mieux choisi pour clore le document. Il porte sur un des éléments de la définition de développement durable toujours mentionné mais relativement peu analysé, soit la dimension intergénérationnelle : quel est le type d’environnement à laisser aux générations futures ? En se référant à l’utilitarisme Blais démontre qu’il ne s’agit pas de laisser intactes toutes les ressources non renouvelables. En satisfaisant ses besoins la génération actuelle doit consommer certaines de ces ressources. Il conclut plutôt qu’il faut maintenir le potentiel productif pour chaque génération en substituant d’autres facteurs de développement aux ressources utilisées. Il reconnaît toutefois que cela ne se fait pas sans problème car de mauvais choix environnementaux peuvent pénaliser les générations futures. De plus l’environnement n’est pas que l’addition des ressources utilisables, mais c’est aussi un milieu de vie qui a globalement une profonde signification pour les individus de toutes les générations.

C’est devenu courant de dire que le concept de développement durable est imprécis et qu’il donne lieu à toutes sortes d’interprétations. C’est aussi un concept qui permet de déboucher sur de multiples aspects des réalités socioéconomiques et environnementales. Le livre dirigé par Guay, Doucet, Bouthiller et Debailleul le confirme amplement. La plupart des articles sont de grande qualité et apportent une contribution importante aux connaissances sur un sujet qui est partout d’actualité et dont les implications sont majeures pour l’ensemble de la population. Des orientations idéologiques se font jour à travers certaines analyses, ce qui contribue aussi à enrichir le document et à susciter de nouvelles réflexions. Il serait souhaitable que ce livre ait une suite car des aspects importants n’ont été qu’esquissés ou tout simplement ignorés. La plupart des pays de la planète se réfèrent maintenant au développement durable mais il faudrait voir ce que cela implique réellement tant au plan environnemental que social et se demander si à l’occasion ça ne conduit pas à négliger ou occulter d’autres réalités.