Ce livre peut être lu de deux façons différentes, et l’une (la plus évidente) cache un peu l’autre (la plus intéressante). La première lecture est empirique : on y décrit certaines facettes de la reconversion industrielle de Montréal. De ce point de vue, le livre comprend un cadre théorique cohérent qui situe l’innovation et le rôle des acteurs locaux dans les champs plus vastes de la crise de la régulation et de la reconversion territoriale, décrit le cheminement économique de l’agglomération de Montréal, et retient trois exemples concrets (Ville St-Laurent, La Cité du Multimédia et le technopôle Angus) pour illustrer l’articulation entre les concepts et le terrain. La deuxième lecture est théorique : c’est un essai qui, par trois biais distincts – i) une discussion théorique du concept d’innovation en lien avec le territoire, ii) une analyse de l’évolution des grandes structures économiques de Montréal, et iii) trois études de cas – aboutit au concept de « capital socioterritorial ». Ces deux lectures seront décrites séparément car, à mon avis, la première (théorique) est tout à fait passionnante tandis que la seconde (empirique) a certaines limites. Sur le plan empirique le livre fonctionne bien. Un lecteur y trouvera un cadre d’analyse permettant de situer les trois études de cas, ainsi qu’une description suffisamment étayée des changements survenus à Montréal pour comprendre le contexte dans lequel se situent ces études. Cependant, l’ensemble des parties empiriques est succinct et donne l’impression d’un survol parfois un peu incomplet. Par exemple, lors de la discussion sur le rôle de l’État et sur les restructurations qui ont eu lieu durant les années 1970 et 1980, les auteurs ne mentionnent pas deux éléments importants. D’abord, il est difficile de comprendre l’évolution récente de Montréal (que ce soit sa stagnation relative durant les années 1970 et 1980, ou sa reprise relative durant la fin des années 1990) sans faire mention du contexte politique québécois. Les grands débats autour de l’indépendance – et l’avènement durant cette période d’une élite économique et sociale francophone – sont des éléments cruciaux qui permettent de mieux comprendre certaines orientations économiques et politiques. Ensuite, les fortes tensions qui existent entre la ville de Québec (capitale d’où émanent les politiques provinciales) et l’agglomération de Montréal (métropole économique cosmopolite) ne devraient pas être négligées. Ces tensions font en sorte qu’il n’y a pas toujours synergie entre les politiques locales et régionales promues par les Montréalais et celles imposées à Montréal par la province. Les conséquences, en termes de développement et de politiques, de ces deux éléments sont débattues et sont au coeur de controverses : mais ce sont des réalités contextuelles qui portent très directement sur la gouvernance locale de la métropole, et il est dommage qu’elles n’aient pas été abordées. De manière plus générale, le contenu empirique du livre semble plus illustratif qu’analytique : la restructuration de Montréal, ainsi que les trois cas présentés, sont décrits plutôt qu’analysés et, tout en étant intéressants, ils m’ont un peu laissé sur ma faim. Pour cette raison, je retiens plutôt la deuxième lecture : celle de l’essai. Lu de cette manière, le livre revêt un caractère persuasif. Les trois premiers chapitres théoriques (qui constituent plus du tiers du livre et sans doute la moitié du texte) ne sont plus une introduction, mais bien une revue de la littérature sur la gouvernance, l’innovation et le territoire qui permet de bien comprendre où les visées sociales et les communautés locales se positionnent par rapport aux grandes tendances que sont la globalisation, la crise de la régulation et la restructuration économique. La description de l’évolution économique de Montréal n’est alors …
Jean-Marc Fontan, Juan-Luis Klein et Diane-Gabrielle Tremblay, Innovation socioterritoriale et reconversion économique : le cas de Montréal, Paris, L’Harmattan, 2005, 169 p.[Record]
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Richard Shearmur
INRS-Urbanisation, culture et société.