Comptes rendus

Ronald Rudin, L’histoire dans les rues de Québec : la célébration de Champlain et de Mgr de Laval (1878-1908), Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, 297 p. (Traduit de l’anglais par Claude Frappier.)[Record]

  • Étienne Berthold

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  • Étienne Berthold
    INRS-Urbanisation, culture et société.

Avec L’histoire dans les rues de Québec : la célébration de Champlain et de Mgr de Laval (1878-1908), ouvrage d’abord publié en langue anglaise (2003), Ronald Rudin réaffirme son intérêt pour l’histoire canadienne-française. On se souviendra en effet des importantes discussions suscitées par la publication de Faire l’histoire au Québec (1998), lequel portait un regard critique à l’endroit de l’historiographie québécoise francophone. Cette fois, Rudin aborde la question à partir de l’identité culturelle, elle-même cernée à travers les processus de commémoration. Un tel angle d’analyse permet non seulement d’associer la recherche empirique à un ensemble de préoccupations théoriques – démarche méthodologique à laquelle sacrifient trop peu de théoriciens de la mémoire québécoise –, mais il a de plus pour effet de rapprocher (timidement) le traitement de Rudin du courant d’étude sur les patrimonialisations. En marche dans la littérature française et anglo-saxonne depuis le début des années 1980, le courant d’étude sur les patrimonialisations appréhende le patrimoine culturel (auquel il rapporte généralement les commémorations) comme une construction sociale effectuée dans la durée. Au Québec, le courant d’étude sur les patrimonialisations semble désormais bien enraciné, et la ville de Québec tend à en constituer un terrain d’étude privilégié. À l’intérieur de ce cadre, L’histoire dans les rues de Québec cherche à documenter spécifiquement les célébrations de Mgr François de Laval et de Samuel de Champlain, qu’elle aborde comme deux commémorations complexes, ponctuées de conflits et de négociations, conçues par et pour les Canadiens français et destinées à influencer l’idée que ceux-ci ont de « leur place dans le Canada » tout comme du rôle qu’ils peuvent « jouer dans l’Empire » (p. 10). L’approche historienne de R. Rudin – une approche patiente qui repose sur l’étude approfondie de multiples sources premières pertinentes pour l’histoire de Québec au tournant du XXe siècle (notamment les archives du Séminaire de Québec) – confère à l’ouvrage un plan d’ensemble cohérent : les chapitres I et II (« La découverte et l’exposition des restes de Mgr de Laval, 1877-1878 » ; « Un monument pour Champlain, 1879-1898 ») permettent de tracer les contours des processus de commémoration en tant que tels, alors que les chapitres III et IV (« Pour immortaliser Laval, 1878-1908 » ; « Est-ce bien le tricentenaire de Champlain ? ») en explorent les suites tout en illustrant plus abondamment la diversité des messages qu’ils véhiculent. La construction patrimoniale repose généralement sur une « base » historique sujette à interprétation. L’ouvrage de R. Rudin suit en cela un schème plutôt classique : d’entrée de jeu, il effectue une brève étude de la vie et de l’oeuvre de Laval et de Champlain. Celle-ci se double rapidement de l’analyse de certaines étapes significatives de la construction de la mémoire des deux personnages. L’ensemble de la démarche vise à démontrer pourquoi et comment les figures de Laval et de Champlain en viennent à évoquer une pluralité d’interprétations aux acteurs sociaux de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. À cet égard, la particularité du traitement de Rudin réside dans le fait que cette pluralité d’interprétations est appréhendée sous l’angle du conflit et, conséquemment, de la négociation entre acteurs sociaux – une perspective plutôt caractéristique de la littérature patrimoniale anglo-saxonne. Ainsi, au moment de la découverte des restes de Mgr de Laval, en 1877, la mémoire du premier évêque catholique d’Amérique du Nord se trouve en chantier depuis les années 1840, sujette à des fluctuations notables (de F.-X. Garneau pour qui il avait été un esprit « absolu et dominateur » jusqu’aux contemporains de l’évêque, qui lui attribuaient des caractéristiques …