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Dans la gérontologie francophone, les readers (c’est-à-dire les ouvrages collectifs) ne sont pas pléthoriques alors qu’ils abondent dans la gérontologie anglophone. Seulement pour cela, la parution de l’ouvrage dont nous faisons la recension mérite d’être saluée. D’autant plus qu’il est le fruit d’une collaboration entre chercheurs français et québécois.
Le livre est préfacé par le Dr Jean-Claude Henrard qui met en perspective la contribution de l’ouvrage à la compréhension du débat relatif au rôle de la famille par rapport à l’État dans le soutien des aînés dépendants. L’introduction, rédigée par les directeurs de la publication, résume la problématique du soutien des proches âgés telle qu’elle se présente dans les pays industrialisés et tout particulièrement en France et au Québec. Chacun des chapitres compare la situation française à la situation québécoise sur des thèmes spécifiques et fait référence à des études effectuées dans d’autres pays. Tous les chapitres sont signés par au moins un auteur québécois et un auteur français. Ce travail a permis d’en arriver à des constatations majeures que nous résumons de façon succincte.
La France et le Québec évoluent dans le même sens sur les plans démographique et socioéconomique malgré des différences parfois significatives. Ainsi, les populations de ces deux États vieillissent rapidement, de sorte que le nombre potentiel d’aidants naturels diminue par rapport au nombre de personnes âgées susceptibles d’avoir besoin de soutien. De plus, il y a des ressemblances entre les politiques sociales destinées aux aînés et à leurs aidants, mais les différences dans ce domaine sont importantes à cause des traditions, des lois et du contexte géopolitique : les politiques françaises sont influencées par l’environnement européen tandis que celles du Québec s’inscrivent dans le cadre canadien et nord-américain.
En France et au Québec les solidarités familiales demeurent vives et les « vieux » ne sont pas abandonnés par leurs proches. Cependant, comme le soulignent les auteurs, les recherches ont surtout porté sur les aidants, de sorte qu’on sait peu de choses sur ceux qui n’aident pas leurs aïeux. Les études sur les aidants ont montré qu’il s’agit surtout de femmes et que l’aide familiale est organisée. Dans certains cas, elle est gérée par une personne qui l’assume totalement. Dans d’autres cas, l’aidant principal partage le fardeau du soutien avec des membres de sa famille ou fait appel aux services publics, parapublics ou communautaires. Il y a des différences majeures sur ce plan entre la France et le Québec : les organismes étatiques prendraient moins de place dans le premier État que dans le second où le secteur communautaire jouerait un rôle plus important. De plus, l’aide naturelle a tendance à se professionnaliser au Québec, les aidants étant appelés à donner des soins qui devraient être dispensés par des professionnels de la santé.
Quoi qu’il en soit, les rapports entre les organismes étatiques, les personnes âgées dépendantes, leurs proches et leur communauté demeurent complexes et ambigus de chaque côté de l’Atlantique. Trop de facteurs interviennent pour qu’il soit possible de faire des comparaisons éclairantes et ce, d’autant plus que les politiques sociales et l’organisation des services changent régulièrement. L’effort de comparaison et d’analyse des auteurs est louable dans ce domaine, mais il n’aboutit pas à la présentation d’un tableau comparatif permettant de comprendre les différences et les ressemblances entre la France et le Québec. Partie remise ou mission impossible ? On aimerait que les auteurs fournissent une réponse à cette question dans un prochain livre ou dans un futur article scientifique.
Au reste, ce livre fournit une remarquable synthèse des recherches effectuées sur chacun des thèmes abordés. Toutefois, les chapitres sont longs et les conclusions sont brèves, de sorte que le lecteur doit faire lui-même son propre bilan. Si les auteurs avaient résumé plus substantiellement leurs propos, ce livre aurait été plus facile d’accès pour le grand public, les étudiants et les intervenants. À cela s’ajoute le fait que la table des matières est succincte et qu’il n’y a pas d’index. Incidemment, cet ouvrage a été publié dans une collection qui s’intitule Pratiques gérontologiques et qui s’adresse en priorité aux intervenants. Or, je me demande si sa facture et son contenu, axés sur la construction de modèles théoriques à partir de résultats de recherche, peuvent rejoindre un grand nombre d’intervenants. Je dis cela avec tout le respect que je voue aux intervenants, sachant que nombre d’entre eux seront ravis de disposer d’un tel livre qui mériterait d’emblée d’être traduit dans d’autres langues.
Cet ouvrage prête flanc à d’autres commentaires qui s’adressent surtout au champ de recherche abordé. Ces commentaires ont trait aux limites méthodologiques des études recensées et à la manière dont les différents thèmes sont traités.
Premièrement, on ne sait pas à partir de quels critères les auteurs ont sélectionné les études qu’ils évoquent. Certaines recherches sont qualitatives, d’autres sont quantitatives tandis que plusieurs études intègrent les deux types de méthodologies. La plupart du temps, ces différentes études sont traitées de façon complémentaire, sans référence à leurs limites. C’est une lacune qui laisse perplexes les lecteurs-chercheurs.
Deuxièmement, le livre ne traite pas en profondeur de l’entraide intragénérationnelle et plusieurs recherches effectuées sur cette question ne sont pas mentionnées.
Troisièmement, les auteurs parlent beaucoup de l’aide apportée aux aînés par leurs proches et relativement peu de celle que les aînés donnent à leur entourage même si ce sujet est abordé par les auteurs qui traitent de la problématique du don et du contre-don (p. 122 à 126) et des relations intergénérationnelles (p. 163-166). Certes, le livre porte sur le soutien apporté aux aînés, mais celui-ci est indissociable de l’aide qu’ils fournissent. En fait, l’entraide constitue un système d’échanges multilatéraux qui implique plusieurs acteurs. En se concentrant sur certains agents du système, on laisse dans l’ombre les autres agents concernés, et on perd de vue le système lui-même.
Quatrièmement, le thème du genre traverse l’ouvrage de part en part. On y rappelle ce que répète maintes fois la littérature sur le soutien social, à savoir que les femmes constituent la majorité des aidants naturels et qu’elles agissent au niveau des soins personnels alors que peu d’hommes sont des aidants principaux et qu’ils accomplissent surtout des tâches instrumentales (ex. : transport et réparations). On admet cependant que la contribution des hommes au soutien des aînés est méconnue. Ces rappels, aussi pertinents soient-ils, occultent différents phénomènes peu traités dans les écrits sur les aidants. D’une part, on ne connaît pas beaucoup les non-aidants et parmi eux, il y a des femmes. D’autre part, le clivage femmes / soins vs hommes / services n’est pas absolu. On ne sait pas grand-chose des hommes qui donnent des soins personnels aux personnes âgées en perte d’autonomie ni des aidantes dont le rôle est principalement instrumental.
De plus, la focalisation du regard sur les formes de soutien traditionnellement fournies par les hommes et les femmes empêche de voir les connexions entre les éléments du système d’entraide. La plupart des aidantes sont sans doute en relation avec un conjoint, un ou des fils, un ou des frères, un ou des beaux-frères et un ou des gendres, tout autant qu’avec leurs filles, leurs soeurs, leurs belles-soeurs et leurs brus. Or, ces éléments du système d’aide sont connectés les uns aux autres, ce qui lui permet de fonctionner. Le cas échéant, la disjonction des éléments du système pourrait expliquer son dysfonctionnement. Par exemple, pour qu’une fille mariée puisse aider à plein temps ses parents âgés, il faut que son conjoint assume en grande partie le soutien financier du couple ou de la famille. De même, le transport et le bricolage, qui sont des activités majoritairement masculines, surtout chez les aidants âgés contemporains, ont un caractère infrastructurel dans le système de soutien aux personnes âgées dépendantes. Les hommes étant plus souvent des aidants secondaires, les services instrumentaux qu’ils rendent aux aidantes permettent à ces dernières de mieux soutenir leurs proches peu autonomes. Le rôle joué par les acteurs masculins est donc fondamental, quoique moins évident, mais les chercheurs contemporains n’ont pas tendance à lui accorder une grande attention.
Cinquièmement, on parle peu des relations entre les membres des réseaux de soutien des aînés. Il en va ainsi des rapports entre les amis, les voisins, les membres de la parenté, et ceux qui appartiennent à des associations, à des corps de métier ou à des groupes professionnels. Dans certains milieux, il y a des liens assez forts entre ces différentes catégories de personnes. Ces liens permettent à des aidants d’obtenir des biens à bon marché, des allocations financières, des renseignements sur les ressources disponibles, parfois même des services professionnels gratuits, ou simplement un peu de répit et de soutien moral. On sait également que des réseaux d’aide naturelle ont des ramifications dans les réseaux professionnels. Le fait que l’aidant soit lui-même un professionnel ou qu’il soit relié à des professionnels par l’entremise de son réseau personnel constitue un net avantage lorsqu’il s’agit de trouver des renseignements et de solliciter des services. L’ouvrage fait peu de cas de ces phénomènes parce qu’ils n’ont guère été étudiés. L’impression qui se dégage de la lecture est que les aidants sont isolés et que leur réseau de soutien est dissocié de celui des aidants professionnels. Est-ce toujours le cas en France et au Québec ?
Enfin, Prendre soin d’un proche âgé nous fait réaliser que la documentation scientifique francophone est difficilement accessible lorsqu’elle n’est pas sur Internet. Quantité de bonnes études sont mises en références dans ce livre, mais elles ne sont pas dans les librairies ni, sauf exceptions, sur le Web (incidemment, on aurait dû indiquer celles qui sont téléchargeables par Internet). Dès lors, comment se les procurer si ce n’est en écrivant à leurs auteurs ou à l’organisme qui les a publiées, ce qui implique des démarches fastidieuses ? Il est surprenant qu’on en soit encore là après plus de quarante ans de coopération culturelle et technique entre la France et le Québec.
Bref, la publication de Prendre soin d’un proche âgé est un événement marquant pour les chercheurs et les intervenants francophones qui s’intéressent aux aînés. Il est à souhaiter que cet événement soit suivi d’autres initiatives du même genre dans un proche avenir.