Article body

La consommation marchande est maintenant entrée dans les moeurs et les façons de vivre depuis un bon demi-siècle. La grande enquête de Gérald Fortin et Marc-Adélard Tremblay sur les comportements économiques de la famille salariée du Québec – réalisée en 1959 et publiée en 1964 – avait montré en effet que la société québécoise était déjà relativement homogène sur tout le territoire dès le milieu du XXe siècle du point de vue des comportements de consommation et des attitudes, le revenu du ménage étant la principale source de différenciation sociale (mais non le milieu de vie ni la classe socioéconomique). L’ouvrage de Duguay adopte un point de vue différent, s’attardant à étudier l’acte même de consommer en insistant sur la fonctionnalité des objets et, surtout, sur les aspects immatériels du phénomène de la consommation, soit l’imaginaire qui les entoure, la construction du sens et, plus largement, la recherche du plaisir, une dimension devenue importante dans les travaux contemporains de sociologie de la consommation. L’auteur aurait pu citer avec profit le bel ouvrage du sociologue britannique Colin Campbell, The Romantic Ethic and the Spirit of Consumerism (1986), qui a développé plus largement cette thèse en posant un parallèle explicite avec l’approche de Max Weber dans son ouvrage classique L’éthique protestante et l’esprit du Capitalisme (1902).

L’argument central de l’auteur est que tout objet possède à la fois une valeur utilitaire et une valeur symbolique, deux dimensions qui se retrouvent à toutes les époques, même les plus reculées dans le temps, mais qui sont particulièrement prégnantes dans les objets produits dans la sphère marchande au XXe siècle. « Les attentes symboliques visent l’association, voulue par le consommateur, du produit à un symbole : mode, statut, style de vie, classe sociale, richesse et pouvoir, modernité technologique, etc. Ce qu’on essaie d’obtenir, c’est une image, par exemple, celle d’un style de vie particulier » (p. 97).

Le lecteur notera dans cette citation l’expression « voulue par le consommateur », capitale pour cerner l’interprétation proposée par l’auteur de l’ouvrage. Ce dernier n’inscrit pas en effet son analyse dans la perspective de Bourdieu – habitus, système de dispositions acquises, reconversion, champ culturel, causalité du probable – mais il montre plutôt la pertinence d’une perspective qui part des acteurs à la manière d’auteurs classiques comme Max Weber, Edmond de Goblot (La barrière et le niveau, 1925) ou Alexis de Tocqueville (« L’homme n’a pas que des intérêts, il a aussi des idées et des sentiments »).

Consommation et image de soi est un livre à lire – trop bref cependant, ce sera notre principale critique – pour comprendre la société de consommation marchande élargie, pour comprendre aussi ce qu’est devenue la société québécoise depuis maintenant plus d’un demi-siècle.