Comptes rendus

Micheline Cambron (dir.), La vie culturelle à Montréal vers 1900, Montréal, Fides et Bibliothèque nationale du Québec, 2005, 416 p.[Record]

  • Dominique Garand

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  • Dominique Garand
    Département d’études littéraires,
    Université du Québec à Montréal.

Rédigé principalement par des spécialistes de littérature, ce collectif pourra intéresser et inspirer autant les historiens que les sociologues. Dans un compte rendu enthousiaste sur Lavie littéraire au Québec, tome V (1895-1918), Andrée Fortin ajoutait toutefois qu’elle aurait « volontiers lu quelques pages de plus sur l’École de Montréal et la constitution du champ » (Recherches sociographiques, XLVI, 3, 2005, p. 598). Le présent livre vient combler la première attente, en plus d’ajouter au dossier de nombreux éléments nouveaux permettant au lecteur d’envisager globalement non seulement la littérature, mais l’ensemble des faits culturels concomitants en ces années cruciales du début du XXe siècle (plus précisément de 1895 à 1905). Le volume se laisse d’abord feuilleter avec plaisir. On y trouve quantité d’illustrations, soit des photographies d’époque (personnages, édifices et documents divers), soit des reproductions d’oeuvres d’art (dessins, illustrations, peintures), certaines d’entre elles en couleur. Fait plus innovateur encore, le livre est accompagné d’un disque compact regroupant sous forme d’anthologie dix-neuf pièces musicales significatives. La sélection nous fait voyager de la musique savante de compositeurs québécois de l’époque (Couture, Contant, Fortier) à des oeuvres plus récentes de Baudouin et Hétu sur des poèmes de Nelligan, en passant par des chansons populaires (« Vive la Canadienne », « Ô Canada, mon pays, mes amours »), des extraits d’opéra lyrique et une pièce de Chopin dans une interprétation de Paderewski, lequel marqua Émile Nelligan, comme on le sait, lors de son passage à Montréal en 1896. Ajoutons que certains enregistrements sont d’époque, comme celui mettant en vedette la diva canadienne Emma Albani. Le livre contient une vingtaine de textes répartis en trois parties. D’abord, un « État des lieux » propose des articles généraux sur les différents aspects de la vie culturelle (le théâtre, la littérature, les arts plastiques, la vie musicale), sans négliger l’examen des conditions sociales, matérielles et institutionnelles ayant favorisé la constitution d’une vie culturelle partagée : les regroupements artistiques, les cercles littéraires, les polémiques entourant la construction de la Bibliothèque municipale de Montréal, les prescriptions mondaines en matière de «consommation» des oeuvres artistiques, etc. Toutes ces conditions matérielles, rigoureusement documentées, contribuent à faire comprendre comment la culture de l’époque était non seulement produite et diffusée, mais aussi vécue. Une deuxième section, plus brève, intitulée «Entre le populaire et le savant », étudie des pratiques mixtes du point de vue institutionnel, comme le conte (genre littéraire le plus usité au XIXe siècle, bien que jugé mineur). Le cas de Henri Julien permet en outre de suivre le parcours d’un créateur qui a oeuvré autant dans un genre «alimentaire» comme la caricature (il était un employé du MontrealStar), que dans le territoire de l’art pictural d’élite. Enfin, il y est aussi question des passerelles, en musique, entre les concerts organisés par les institutions d’enseignement et les spectacles qu’offraient les théâtres à vocation commerciale. L’article qui aborde ce dernier phénomène, signé Mireille Barrière, débouche sur une instructive confrontation entre l’idéologie cléricale de l’époque et l’idéologie des opérettes présentées simultanément sur quelques scènes montréalaises, confrontation qui illustre bien les tensions morales que pouvaient éprouver les étudiants alimentés par des sources si contrastées. La dernière section est tout entière consacrée à l’École littéraire de Montréal. Alternent les exposés généraux (sur l’École et son réseau associatif, sur ses rapports avec l’esthétique symboliste, sur le rôle transitoire qu’elle a pu jouer durant cette période où apparaît un véritable champ littéraire) et des articles consacrés à des protagonistes importants comme Lozeau, Ferland, Nelligan, Dantin et Gill (qui fut à la fois peintre et poète). En annexe, le lecteur consultera …