Débats

L’art du mécompte renduRéplique à la note critique de Damien-Claude Bélanger[Record]

  • Gérard Bouchard

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  • Gérard Bouchard
    Département des sciences humaines,
    Université du Québec à Chicoutimi.

Dans un récent numéro de Recherches sociographiques (XLVII, 2, 2006), D.-C. Bélanger consacre une note critique à mon ouvrage, La Pensée impuissante. Échecs et mythes nationaux canadiens-français (1850-1960). Je me crois obligé d’y répliquer pour deux raisons. D’abord, ce texte abuse singulièrement de la fonction ou de la position du critique. Il est en effet impossible d’amorcer à partir de ce genre de réflexion caricaturale une véritable réflexion sur mes travaux. Deuxièmement, j’ai tenu à rédiger cette réponse parce que l’exercice auquel s’est livré Bélanger me paraît caractéristique d’un procédé trop fréquent : construire une contrefaçon de l’ouvrage pris en cible et la mettre en pièces avec beaucoup d’autorité (et bien peu de mérite). Je veux dénoncer ces entreprises de détournement qui, en instituant de faux procès, discréditent une démarche scientifique sans même l’aborder de front. Or, en l’espèce, le texte de Bélanger s’érige en une sorte de modèle. Ma réplique s’emploiera donc uniquement à montrer les procès d’intention, les distorsions et les inexactitudes qui composent l’essentiel de ce long compte rendu. On verra du même coup que son auteur, historien des idées, traite les textes – et les idées – avec une inquiétante désinvolture. Bélanger dit réagir au nom de la nouvelle sensibilité historique qui se dessine présentement au Québec et qui est, pour l’essentiel, associée à la jeune génération d’historiens à laquelle il s’identifie. Il a vu en effet dans mon livre une attaque contre ce courant intellectuel (« une riposte aux postulats de la nouvelle sensibilité »). Je ferais partie des « révisionnistes » qui s’inquiètent de l’orientation jugée « profondément conservatrice, voire réactionnaire » de ce mouvement. Or, mon livre ne contient aucune remarque sur cette sensibilité, aucune critique de son orientation, ni aucune allusion directe ou non à ses représentants. Ce n’était tout simplement pas mon sujet. D’une façon plus générale, je signale par ailleurs que je n’ai jamais attaqué ce courant scientifique, dont cependant j’ai déjà commenté avec intérêt l’émergence à l’occasion d’une revue historiographique. J’y esquissais une description très factuelle qui insistait sur le caractère diversifié de ce courant intellectuel et concluait que, à cause de son caractère émergent, « il est un peu tôt pour formuler une critique en profondeur de ce discours ». Je ne suis jamais revenu sur le sujet, tout en continuant à suivre de près les travaux de ces jeunes historiens (et sociologues) dont certains (Jean-Philippe Warren et E.-Martin Meunier, par exemple) se sont déjà signalés par d’importantes contributions. Pour ce qui est du révisionnisme, Bélanger ignore visiblement que, depuis plusieurs années, mes travaux ont été associés tantôt à ce courant et tantôt à son contraire, ce qui m’a valu des éloges et des critiques des deux côtés. À propos, l’un des procès qu’on a faits à La Pensée impuissante, c’est précisément d’avoir rejeté carrément les propositions principales de l’histoire révisionniste pour revenir à des orientations plus traditionnelles (ce qui me rangerait donc, en quelque sorte, avec les représentants de la nouvelle sensibilité historique dont l’un des traits distinctifs, soutient Bélanger, consiste justement à démontrer de la sympathie pour « la pensée traditionaliste » canadienne-française). Cela dit, d’autres critiques ont jugé sévèrement mes analyses dans lesquelles ils ont vu l’empreinte de l’historiographie révisionniste (ou moderniste). L’explication de cette confusion est simple : je me suis toujours efforcé de placer mes travaux en marge de ces écoles et de leurs bannières, à distance de leurs postulats et des orthodoxies qu’ils instaurent. C’est là une position beaucoup plus inconfortable qu’il n’y paraît, notamment parce qu’elle offre une cible facile au lecteur pressé ou prévenu. Mais c’est la seule …

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