Comptes rendus

Anne-Marie Sicotte, Marie Gérin-Lajoie. Conquérante de la liberté, Montréal, Remue-Ménage, 2005, 503 p.[Record]

  • Louise Bienvenue

…more information

  • Louise Bienvenue
    Département d’histoire et de sciences politiques,
    Université de Sherbrooke.

C’est à une lecture passionnante que nous convie Anne-Marie Sicotte avec son Marie Gérin-Lajoie. Conquérante de la liberté. S’intéressant à l’une des figures féministes francophones les plus importantes de la première vague du mouvement des femmes, l’auteure met habilement en scène une épopée qui s’ouvre, au Québec, dans la dernière décennie du XIXe siècle pour se conclure en 1940, avec l’obtention du droit de suffrage. Si Marie Gérin-Lajoie, cette intellectuelle accomplie doublée d’une femme d’action hors du commun est, à l’évidence, un personnage plus grand que nature, le récit d’Anne-Marie Sicotte réussit cependant à éviter le double piège du genre biographique : l’interprétation anachronique et l’emphase hagiographique. Faisant preuve d’une grande précision contextuelle et d’un bon sens de la nuance, l’auteure signe une oeuvre savante mais de lecture accessible et agréable. Divisé en pas moins de 18 chapitres, l’ouvrage met l’accent – on ne s’en surprendra guère – sur la cause à laquelle Marie (Lacoste) Gérin-Lajoie consacra sa vie : l’avancement des droits des femmes. Comme le genre l’exige, les premiers chapitres s’attardent à la présentation des ascendants et racontent les années de formation de la jeune Marie, qui naît avec la Confédération en 1867. Fille aînée de la pieuse Marie-Louise Globensky, mère de 13 enfants, et d’Alexandre Lacoste, futur juge en chef de la province, Marie est élevée selon les moeurs de la bourgeoisie montréalaise canadienne-française de l’époque. Sa mère tient salon et la famille fraie avec l’élite. L’atmosphère est propice à l’éveil d’un esprit curieux comme celui de la future femme d’action. Par contraste, les années de couvent sont vécues comme un arrachement douloureux à cet univers stimulant et confortable. La couventine supporte mal l’isolement et la discipline contraignante ; elle conclut qu’elle n’est pas faite pour la vie religieuse. Libérée des épais murs gris à 15 ans, l’adolescente a néanmoins l’intention ferme de poursuivre sa formation intellectuelle. En l’absence d’institution destinée à l’éducation supérieure des filles, elle s’instruit à même la bibliothèque de son père. La voyant s’entourer de « gros livres », son entourage s’étonne : « quand je pense qu’au lieu de courir les champs et de respirer le grand air vous étudiez l’algèbre, il me semble que le mal de tête me prend et que j’ai besoin de la prendre à deux mains pour l’empêcher d’éclater », écrit son amie Henriette Bourassa (p. 65). La studieuse jeune fille se consacre aussi à des activités plus usitées pour une personne de son rang : les oeuvres charitables auxquelles elle s’adonne avec sa mère et autres dames patronnesses aiguisent sa conscience des problèmes socioéconomiques d’une ville en pleine industrialisation. Marie est surtout sensible à la misère des femmes, domestiques, travailleuses d’usine et mères abandonnées. L’incapacité civique dont sont frappées les femmes mariées la révolte. Débutante, elle hésitera avant de s’engager dans la voie du mariage, alors qu’elle fait l’objet d’une cour pressante de la part d’un avocat de haute extraction, le jeune Henri Gérin-Lajoie. Pour méditer sur sa destinée, Marie a la chance de bénéficier d’un contexte favorable : à 17 ans, la Montréalaise s’embarque, en compagnie de son père, sur un paquebot qui la mène vers l’Europe. Elle découvrira l’Italie, la Suisse, l’Angleterre, un privilège rare pour une jeune fille de son temps. À 19 ans, Marie Lacoste épouse enfin Henri Gérin-Lajoie. Malgré ses nouvelles responsabilités d’épouse et, bientôt, de mère – le couple aura, en tout, quatre enfants – Marie ne déroge pas à sa discipline studieuse. Le droit, surtout, la passionne. Au cours de ces mêmes années, elle fait la connaissance des travaux de Frédéric Le Play et réfléchit aux bienfaits …