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En 1982, une monographie, rédigée par A. Désilets, J.-G. Lavallée et L. Brunelle-Lavoie, soulignait les 25 ans de l’Université de Sherbrooke. Il s’agissait de la première histoire d’une université francophone, parue deux ans après que S. B. Frost eut rédigé une histoire de l’Université McGill. L’ouvrage de Denis Goulet, qui rappelle les cinquante ans d’existence de l’établissement, s’inscrit maintenant dans le cadre d’une historiographie considérablement enrichie depuis que H.-A. Bizier (1993), L. Ferretti et C. Nicholl (1994), J. Hamelin et N. Thivierge et al. (1995), eurent respectivement évoqué la création et le développement des Universités de Montréal, du Québec, Bishop, Laval et du Québec à Rimouski. Le mandat de rajeunir un propos et de rendre compte de l’évolution d’une institution « vieille » maintenant d’un demi-siècle a été confié à un professeur associé au Département d’histoire et de sciences politiques, spécialiste de l’histoire sociale de la santé et de la médecine au Québec.

L’auteur a puisé à de multiples sources : statuts de l’Université, annuaires, correspondances, procès-verbaux, rapports, journaux de l’Université et étudiants, fonds du chancelier G. Cabana (1954-1968) et du recteur Yves Martin (1975-1981), notamment. Abondamment documenté, il a divisé son livre en trois parties : une première, intitulée « De la fondation à l’implantation 1941-1964 », rappelle les tentatives infructueuses de création d’une première université francophone en région, puis le succès des années 1952 à 1964 qui voient « l’émergence d’une université “complète” » (p. 57), dotée des Facultés des arts et du droit, puis d’une Faculté de commerce, d’une École normale, d’un Institut de pédagogie ainsi que d’une Faculté des sciences. L’auteur consacre plusieurs pages à la création, dans une certaine controverse, de la première Faculté de médecine francophone en région, finalement ouverte en 1966 dans le campus de l’Est et dotée d’un hôpital universitaire.

La deuxième partie du livre couvre vingt ans, la période 1964-1984, une « période de consolidation », selon l’auteur. Pourtant, tout avait mal commencé : dans son 2e rapport déposé en 1964, la Commission Parent avait recommandé que les universités à vocation régionale, telle Sherbrooke, soient « vivement encouragées à se limiter, pendant quelques années, aux programmes de 1er cycle déjà implantés », à charte limitée donc (p. 114). Comme le gouvernement Lesage n’adoptera pas cette idée, très largement dénoncée par la communauté universitaire sherbrookoise et les élites régionales, l’Université pourra développer ses programmes d’études avancées, ses recherches appliquées et biomédicales et ses instituts de recherche en sciences humaines et sociales. Elle innove au Québec en mettant en place le régime coopératif, système qui fait alterner des périodes d’études à l’Université et des périodes de stages, rémunérés en entreprise. L’expérience s’avère globalement un succès et devient, dès le début des années 1980, « la marque de commerce de l’Université de Sherbrooke » et la fierté de ses dirigeants (p. 121).

Couvrant également la période 1964-1984, un chapitre intitulé « L’Université dans la mouvance sociale » (p. 187) évoque notamment l’organisation du mouvement étudiant et la syndicalisation du corps professoral et du personnel de soutien. On assiste aussi à la laïcisation de l’Université, alors qu’au dernier recteur religieux, Mgr Roger Maltais (1969-1975), succède un premier recteur laïc, Yves Martin (1975-1981). En 20 ans, malgré deux importantes crises financières, l’Université est bien établie dans la région. L’effectif étudiant a crû de façon spectaculaire passant de 1 265 à 8 440, même si les inscriptions féminines connaissent une croissance plus lente que pour les autres universités québécoises, un fait que l’auteur attribue à la « faiblesse de l’Université dans les sciences sociales et [à] l’importance accordée aux sciences, à la médecine et à l’administration » (p. 248).

On ne s’étonne donc pas de l’intitulé de la troisième et dernière partie, « L’expansion », à laquelle on assiste, de 1985 à 2001, sous la direction des recteurs Aldée Cabana et Pierre Reid. L’Université connaît certes des moments difficiles, de nouvelles crises financières et des grèves, mais aussi une augmentation significative de l’effectif étudiant, la création de l’Université du troisième âge, l’ouverture à la collectivité de ses services culturels et sportifs, un partenariat croissant avec les entreprises, des programmes plus en lien avec le marché du travail, l’ouverture de nouvelles chaires de recherche et de nouveaux pavillons. Bref, l’Université de Sherbrooke joue désormais « dans la cour des grands » (p. 399). Un dernier chapitre examine les années 2001-2004, passées « Sous la gouvernance d’un jeune recteur » (p. 405). Bruno-Marie Béchard entend notamment affirmer la présence de l’Université en périphérie de Montréal avec le campus de Longueuil. Elle acquiert une visibilité, controversée mais incontestable, en obtenant qu’une station de métro porte aussi son nom. La recherche est en outre fortement encouragée et de nouveaux pavillons sont construits. En somme, le sur-titre retenu, « L’audace porte fruit », évoque bien, conclut l’auteur dans le dernier paragraphe du chapitre, « les acquis du passé et les espoirs de l’avenir » (p. 417).

Ainsi s’achève le livre car, étonnamment, il n’y a pas de conclusion générale qui termine cette volumineuse monographie. Une analyse globale de l’évolution de cette jeune université est ainsi absente. On aurait aussi aimé une conclusion à la fin des chapitres, ou à tout le moins des différentes parties, et la présence d’une chronologie. Heureusement, il y a la table des matières dont les titres, très bien choisis, remplissent leurs promesses. Le lecteur trouvera racontés sur un ton jovial – un peu trop, il nous semble – les multiples événements qui ont jalonné le demi-siècle d’existence de cette institution dynamique. En mettant en lumière l’évolution de l’effectif étudiant et les liens entre l’Université et les collectivités sherbrookoise et estrienne, l’auteur a su toutefois éviter une histoire purement institutionnelle. Il a livré à ces collectivités, et à un bien plus large public, l’histoire d’un valeureux établissement d’enseignement supérieur. Cette contribution se situe, en définitive, parmi les meilleurs ouvrages du genre déjà existants.