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Que voilà un livre instructif livrant ici le texte des communications substantielles d’un colloque savant à propos de la Société du parler français au Canada. D’entrée de jeu, Jean-Denis Gendron, dernier président (1961) de la Société – dont l’action sera alors reprise par la Faculté des lettres de Laval ou par l’Office de la langue française – affirme que l’on créait la SPFC pour « fonder l’étude du parler français au Canada sur la philologie et la linguistique, de façon à établir sur des bases scientifiques les jugements à porter sur la langue ». C’est précisément trois chercheurs formés à Laval autour du Trésor de la Langue française du Québec – Claude Verreault (Laval), Louis Mercier (Sherbrooke) et Thomas Lavoie (UQAC), organisateurs de ce colloque – qui viennent selon l’expression de Jacques Mathieu (Allocution d’ouverture), « interroger le sens d’un événement fondateur » comme celui de la SPFC. Claude Verreault dégage d’abord la « conception du français au Canada, selon Adjutor Rivard, principal artisan » de la Société avec Louis-Philippe Geoffrion, laissant à Thomas Lavoie et à Louis Mercier la tâche de parler successivement de « l’oeuvre dialectologique de la Société », puis de son oeuvre « lexicologique et lexicographique ». Ces trois conférences illustrent le travail colossal de la SPFC, identifient ses acteurs nombreux issus du monde universitaire et scolaire (largement clérical) d’alors, parlent de son Bulletin du parler français au Canada, des enquêtes largement sollicitées sur les parlers régionaux, des deux Congrès de 1912 (10 000 inscrits !) et 1937, insistant sur le travail immense et encore inspirateur du Glossaire du parler français au Canada paru en 1930. Comme on le voit, l’aspect correctif de la langue, encouragé par la Société surtout après 1930, n’infirme en rien son travail scientifique, s’y appuyant au contraire, selon l’esprit même de Rivard.

Quatre autres conférences ouvrent d’autres perspectives et complètent les actes du colloque. Claude Poirier et Gabrielle Saint-Yves y vont d’une quête d’identité qui passe par le langage parlé ici. Puisque la SPFC réagissait contre un certain sentiment d’infériorité pour le français parlé au Canada, les deux intervenants analysent cette perception que nous avons de notre langue à partir de publications linguistiques et lexicographiques qui vont de 1841 (Maguire) à 1957 (Bélisle), en passant par le Glossaire de 1930. Ils distinguent significativement les tendances de 14 livres de cet ordre dont les auteurs sont vus principalement comme « puristes », « pédagogues » ou « glossairistes ». Cela leur permet de mieux situer les forces et les limites du Glossaire de la SPFC et de constater pourquoi n’est jamais paru le dictionnaire annoncé par Rivard et découlant normalement de toute l’entreprise de la Société. Pour sa part, Marie-Andrée Beaudet fait valoir l’action de la Société dans la constitution de la littérature québécoise. Malgré leur attachement au fond littéraire (le classicisme) plutôt qu’à la forme (l’esthétique et la modernité) –ce qui infirmait nos auteurs les plus modernes comme Nelligan – , Camille Roy et consorts ont favorisé l’enseignement de notre littérature (où les valeurs devaient prédominer) et la création d’un manuel de nos auteurs, ce qui introduisait nos lettres dans l’Institution scolaire.

Les riches textes de Simon Langlois et d’Yves Roby complètent le discours sur la SPFC en nous permettant de la situer dans l’espace social et franco-canadien. Langlois inscrit la Société comme répondant à l’inquiétude créée par l’exode de 20 % des nôtres, principalement vers la Nouvelle-Angleterre. Par ailleurs, l’urbanisation insécurise et nous fait plus largement citadins que ruraux même si le discours des élites continue de valoriser le repli sur des valeurs passéistes. Se renforce alors l’importance de l’État québécois dont le budget augmente considérablement. Roby complète bien ce tableau en s’appuyant sur la fréquentation aux deux grands congrès de 1912 et 1937 de la SPFC et sur le contenu des exposés qui s’y firent. Ce qui semblait alors un grand territoire uniforme du Canada français, de l’Ontario à l’Acadie en passant par la Nouvelle-Angleterre, se déconstruit lentement. Si le congrès de 1912 permet de corriger les erreurs de perception causées par la distance, de raccorder des discours isolés, celui de 1937 fait mieux saisir aux congressistes l’érosion inéluctable du territoire francophone : une langue qui se perd aux États-Unis et au Sud de l’Ontario, une Acadie tourmentée et différente par son histoire, un Québec qui sent ses avant-gardes tomber et dont certains congressistes prônent des mesures linguistiques fermes et même la création d’un État français (Lionel Groulx). La question du Québec moderne est posée, le « séparatisme » vu comme un danger par les uns fait du Québec, aux yeux des autres, un bastion de résistance et d’appui dans l’archipel linguistique. Quoi qu’il en soit, cette action de la SPFC apparaît à Bernard Quemada (« Allocution de clôture ») comme exemplaire dans le temps historique et tout l’espace francophone. Pour lui, la France peut s’en inspirer.