Comptes rendus

Luc Vigneault et René Blais (dirs), Culture et technoscience : des enjeux du sens à la culture. Approche d’une logique multidisciplinaire, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, 164 p.[Record]

  • Dominique Morin

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  • Dominique Morin
    Candidat au doctorat,
    Département de sociologie,
    Université Laval.

L’objectif de cette publication était de partager des points de vue sur le « phénomène technoscientifique » et les transformations introduites par la technique contemporaine dans le développement du savoir, de la culture et de la question du sens. En introduction, Luc Vigneault écrit que la technoscience est un phénomène nouveau, « qui est finalement l’équivalent, pour nous, de technique contemporaine », signifiant par là qu’elle est « spécifiquement définie par son association à la science », puis ajoute qu’elle n’est plus simplement « technique » mais « idéologique », en tant qu’elle « impose une finalité au savoir » (p.1). Les chapitres révèlent plutôt que la technique contemporaine ne se résume pas à ce qui est approché comme « technoscience », que les origines de cette technoscience remontent à la réforme moderne des sciences et que sa spécificité historique reste à préciser, tout comme sa participation au développement du savoir et son inscription dans la culture. Traitant de questions relativement indépendantes, les huit auteurs se rejoignent néanmoins dans le souci de penser le sens de l’activité technique au-delà du registre de l’instrumentalité. Cinq photographies d’oeuvres de l’artiste Christian Michaud précèdent les chapitres pour illustrer comment l’activité technique, dans l’art, peut ajouter du sens aux objets, en les magnifiant par ses procédés stylistiques. Les textes sont denses, d’une rigueur inégale, et se prêtent mal à une présentation d’ensemble. René Blais se demande, contre l’opposition du monde fragmenté de la technique au monde totalisant du symbole : « est-il vraiment possible pour la technique de se déployer sans aucun lien avec l’univers symbolique ? » (P. 22.) Il rappelle d’abord que la technique et ses créations sont surdéterminées à travers le langage, comme expression de l’esprit qui les conçoit et comme symboles dans les imaginaires qui se les approprient. Blais reprend ensuite l’opposition du rôle de la technique dans les sociétés mythiques (moyen sacré pour l’homme de prendre place dans le cosmos) et dans le monde moderne (transformé par ses inventions, ses symboles, et sous la poussée d’idéologies) pour souligner que la technique contemporaine reste néanmoins porteuse de « visions du monde ». Le texte affiche ainsi une posture critique, notamment contre Ellul et Hottois auxquels il reproche d’avoir pensé l’univers symbolique et le déploiement de la technique indépendamment l’un de l’autre. Mais en reconnaissant que notre monde est conditionné par la technique et vécu à travers elle, tout en invitant à « considérer simultanément les aspects matériel et “idéel” de la technique » (p. 39), Blais semble en fait s’accorder avec les réflexions plus récentes de Gilbert Hottois dont il ne cite qu’un ouvrage paru en 1984. Thierry Hentsch présente une interprétation originale du sort de l’éthique contemporaine s’adaptant à la dynamique de la technique. Que la philosophie lui offre ses services « comme panoplie d’instruments éthiques » (p. 53) n’eût pu arriver sans une libération du sujet scientifique de sa dissociation cartésienne d’avec le sujet politique, suivi d’un renversement de la hiérarchie kantienne soumettant l’agir technique à l’impératif catégorique de la morale. Face à une science divisée en spécialités qui « se prend pour la vérité et s’ignore comme activité pratique » (p. 51), la morale se « fragmente, à son image, en une myriade d’éthiques ponctuelles » (p. 54). Faisant un pied de nez aux professionnels de la philosophie qui participent à son démembrement, Hentsch préfère, suivant Heidegger, considérer la technique comme un lieu révélateur de notre rapport au monde, et examiner les bases à partir desquelles la question éthique pourrait encore être pensée dans sa généralité. Le défunt philosophe nous laisse sur la piste d’une démarche qui, …