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Il est toujours intéressant pour un Québécois de lire une étude sur sa propre littérature préparée par un ou une spécialiste d’un autre pays. Quelle lecture souvent enrichissante car, inévitablement, le point de vue d’un « native », comme dirait Galarneau, le héros de Jacques Godbout, est différent de celui d’un étranger ! Et c’est ce qui se produit en parcourant l’ouvrage de Madeleine Frédéric, professeure de littérature à l’Université Libre de Bruxelles, Polyptyque québécois. Découvrir le roman contemporain (1945-2001).

Fruit de quelque dix années d’enseignement et de recherche en littérature québécoise que Madeleine Frédéric a enseignée, dans son université d’attache mais aussi, pendant un semestre, à l’Université de Paris III–Sorbonne nouvelle, cet ouvrage ajoute à la (re)connaissance de notre littérature, tant à l’étranger qu’au Québec. L’auteure convie ses lecteurs, de l’étranger surtout, mais aussi du Québec, comme le précise le sous-titre, à « découvrir le roman contemporain », depuis Bonheur d’occasion (1945) de Gabrielle Roy jusqu’à Splendide solitude (2001) d’Abla Farhoud. Dix auteurs sont convoqués, les uns, des classiques reconnus ou des valeurs sûres, tels Gabrielle Roy, Hubert Aquin, Marie-Claire Blais, Réjean Ducharme, Jacques Godbout et Anne Hébert ; d’autres, qui sont en voie de le devenir, tels Robert Lalonde et Régine Robin ; et d’autres enfin qui mériteraient de l’être, comme Marie-Céline Agnant, d’origine haïtienne, et Abla Farhoud, d’origine libanaise. Les trois dernières, il convient de le préciser, ont émigré au Québec il y a plus de trente ans et y ont publié la totalité, sinon la majorité de leur oeuvre (Robin).

Pourquoi ces auteurs et pas d’autres ? Le choix d’un corpus est toujours aléatoire, subjectif même. Pourquoi pas André Langevin (Poussière sur la ville), Gérard Bessette (Le libraire), Roch Carrier (La guerre, yes Sir !) ou Jacques Ferron (Le ciel de Québec), voire des romans de jeunes écrivains représentatifs de leur génération, tels Louis Hamelin (La rage), Christian Mistral (Vamp ou Vautour), Lise Tremblay (L’hiver de pluie), ces écrivains que j’ai appelés les « romanciers de la désespérance » ? En jetant un rapide coup d’oeil au paratexte, en fin de volume, on peut déjà trouver une réponse, sinon une amorce de réponse. La plupart des auteurs sélectionnés ont déjà fait l’objet de publications antérieures, « parfois difficilement accessibles car disséminées dans des revues déjà anciennes », versions qui, de préciser l’auteure, ont été « remaniées : recentrées ou au contraire élargies, en tout cas réactualisées » (p. 175). C’est sans aucun doute ce qui explique le manque de lien ou d’unité d’un chapitre à l’autre, car Madeleine Frédéric ne s’est pas donné la peine d’assurer cette unité dans les introductions de chacun des dix chapitres, comme l’ont fait des chercheurs universitaires qui ont eu l’heureuse idée de réunir en un seul ouvrage le fruit de leur travail s’étendant souvent sur plusieurs années.

Tous les chapitres se présentent à peu près de la même façon. D’abord, une mise en contexte ou un rapide coup d’oeil sur les années qui ont vu naître l’oeuvre sélectionnée de l’écrivain, comme dans le cas de Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy ou de Prochain épisode d’Hubert Aquin. Puis l’auteure fournit quelques repaires biobibliographiques sur l’écrivain convoqué. Elle propose ensuite une analyse de l’oeuvre en s’intéressant à la narratologie, à l’instance narrative, au discours intérieur et à la stratégie des chronotopes, comme l’a énoncée Mikhaïl Bakhtine (Bonheur d’occasion). C’est plutôt l’écriture qui l’intéresse dans le roman d’Aquin, une écriture moderne, qui prime sur la fiction, selon elle, avec un narrateur je-scripteur, révolutionnaire raté, qui devient personnage du roman qu’il écrit, un roman d’espionnage. Son analyse, qui tâte aussi de la thématique, est menée avec rigueur et souci de précision. La comparaison toutefois avec le roman La mise en scène de Claude Ollier apporte, à mon avis, plus de confusion que d’éclaircissement et, en ce sens, m’apparaît un véritable hors-d’oeuvre.

Les études consacrées à Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais et à Une belle journée d’avance de Robert Lalonde sont titrées faussement. L’auteure dépasse nettement l’analyse de ces deux oeuvres pour s’intéresser davantage, dans le cas de Blais, à la trilogie des Manuscrits de Pauline Archange et au Sourd dans la ville, alors que, dans le cas de Lalonde, et sans que l’on sache la raison, elle s’attarde plus longuement à l’analyse de L’ogre du Grand Remous, voire au Dernier été des Indiens et au Diable en personne, car, il faut le préciser, elle privilégie pour cet écrivain le thème de l’origine, qui aurait mérité une meilleure définition et une analyse plus approfondie, plus convaincante aussi.

Pour l’analyse de L’avalée des avalés de Réjean Ducharme, Madeleine Frédéric convoque à dessein Bakhtine et sa théorie du carnavalesque, tout comme dans celle de Salut Galarneau ! de Jacques Godbout, en s’intéressant aussi à l’écriture et à la linguistique en raison de la langue qu’utilise le héros Galarneau. C’est encore l’écriture qui fait l’objet de remarques fort pertinentes dans le cas de l’étude de Kamouraska d’Anne Hébert, un roman que Madame Frédéric qualifie de polyphonique, intéressant, selon elle, du point de vue de la narration même si « le changement de narrateur n’est jamais signalé », ce qui force le lecteur à être très attentif et… bon lecteur pour déceler ces subtilités qui, autrement, note-t-elle encore avec raison, risquent d’en décourager plus d’un.

Les trois dernières études sont consacrées à des écrivaines migrantes qui ont eu des problèmes d’adaptation dans leur nouveau pays et qui ont abordé, dans leurs oeuvres, les difficiles conditions d’immigré ou d’exilé, souvent marginalisé, voire aliéné en raison de la solitude à laquelle les héroïnes sont confrontées, quand ce n’est pas aussi au passage du temps, à la vieillesse, dans le cas de l’écrivaine haïtienne Agnant.

L’ouvrage de Madeleine Frédéric saura certes intéresser plus d’un lecteur, plus d’une lectrice, tant du grand public que du secteur de l’enseignement. En favorisant diverses approches littéraires, en en précisant souvent les grandes lignes directrices, elle fait oeuvre utile auprès des étudiants. Son étude est plus qu’un guide, comme elle semble vouloir le limiter dans son « Préambule », et plus qu’une amorce de dialogue avec le public québécois, déjà ouvert à de telles études. Madame Frédéric apporte un éclairage nouveau, sinon différent, sur la littérature québécoise et son étude mérite assurément une large diffusion, même s’il est dommage que la bibliographie en fin de volume soit si mal structurée et combien incomplète.