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Professeur titulaire au Département d’histoire de l’Université de Montréal, Jacques Rouillard a publié plusieurs ouvrages bien connus sur le syndicalisme québécois et sur l’histoire sociale récente du Québec, dont il est un des meilleurs spécialistes à l’heure actuelle. C’est donc dire qu’il était bien placé pour mener une recherche historique sur le syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal à l’occasion du 30e anniversaire de l’accréditation de ce dernier. L’ouvrage qui a découlé de cette recherche minutieuse n’est pas une histoire officielle du SGPUM, même s’il a été rédigé à la demande de son exécutif, et que les membres de la direction du syndicat ont lu et offert leurs commentaires à l’auteur, car l’historien consciencieux s’était réservé toute la liberté pour accepter ou rejeter leurs remarques et commentaires, et pour offrir ses propres analyses des événements.

L’auteur remonte jusqu’aux années 1930, lors de la mise sur pied du Comité des professeurs, et il raconte les efforts de l’Association des professeurs de la Faculté des sciences dans le but de négocier avec l’administration de l’Université et d’obtenir l’équité salariale avec les professeurs de McGill. Cette Association obtient même en 1947 un certificat de représentation syndicale du gouvernement, ce qui en faisait le premier véritable syndicat de professeurs d’université au Canada et peut-être même en Amérique du Nord. En avril 1955, alors que l’Université compte une centaine de professeurs de carrière, l’Association des professeurs de l’Université de Montréal (APUM) est fondée, quatre ans et quatre mois après la création d’une semblable Association des professeurs de carrière à l’Université Laval. L’APUM, présidée au début pas l’historien Guy Frégault, puis par le botaniste Pierre Dansereau, obtient finalement en 1960-1961 une première échelle salariale qui amorce un certain rattrapage avec les universités canadiennes, et s’engage activement dans l’appui des transformations de la Révolution tranquille, par exemple la sécularisation de l’Université et la modernisation de la société québécoise.

En 1966, des professeurs décident de créer un véritable syndicat, le SPUM, qui ne réussit pas à obtenir l’adhésion d’une majorité d’entre eux. Après quelques années de coexistence, l’APUM et le SPUM ont fusionné pour donner naissance, le 19 mars 1972, au Syndicat général des professeurs de l’Université de Montréal (SGPUM). Il faut noter ici que certains sociologues – comme Michel Brulé, Jacques Dofny, Gabriel Gagnon, Luc Martin et Guy Rocher – ont joué un rôle important dans le long et difficile processus de cheminement vers un syndicat accrédité et unique. Le certificat de reconnaissance syndicale du SGPUM (accréditation par le ministère du Travail) ne sera attribué qu’en juillet 1975, après avoir rallié l’adhésion d’une majorité des professeurs de l’institution. Contrairement à l’APUM, qui est plus conciliatrice et associative, le SGPUM veut « s’inspirer d’une autre philosophie, basée sur l’idée d’un rapport de force avec l’administration » (p. 84). Une première convention collective complète sera signée en 1977, sous la présidence d’Henri-François Gautrin, devenu plus tard ministre dans le gouvernement libéral de Jean Charest.

La récession économique de 1981-1982 a affecté grandement les salaires et les autres conditions de travail des employés du secteur public et parapublic, donc des professeurs, durant plus d’une décennie. Cette période de crise budgétaire et de compressions salariales fut difficile pour le SGPUM, qui fut ainsi forcé d’être à la remorque des luttes entre le Front commun syndical et le gouvernement, tout au long des décennies 1980 et 1990. Les professeurs n’ont pas eu d’autre choix que d’accepter les diminutions salariales de 1983 et les augmentations minimes qui en ont découlé, et de se créer un bon fonds de défense professionnelle pour d’éventuelles grèves à venir. Un sentiment de morosité et d’impuissance s’installa alors, face à l’augmentation de la charge et la stagnation de la rémunération. Le SGPUM consacra alors beaucoup d’efforts à défendre ses acquis récents et à rebâtir la solidarité entre ses membres. Jacques Rouillard consacre plusieurs pages aussi aux rapports de SGPUM avec la Fédération des associations des professeurs des Universités du Québec (FAPUQ) qui sont marqués de « grippe récurrente », selon l’expression de la criminologue Marie-Andrée Bertrand, et il étudie le dossier controversé de l’accès des femmes à l’égalité. Mais c’est surtout l’impact des déficits et des compressions budgétaires sur le SGPUM qui attirent son attention, avec leur cohorte de mesures comme le programme de départs volontaires de 1996, et les trois ans de non-cotisation de l’Université au Régime des rentes en 1998, qui font que les professeurs et les chargés de cours supportent « une large part du poids des compressions budgétaire depuis le début des années 1980 » (p. 171).

La dernière partie de l’ouvrage accorde beaucoup de place aux conventions collectives plus revendicatrices signées depuis l’an 2000, à la grève de 2005, à l’amélioration du régime de retraite des professeurs et surtout, dans le dernier chapitre, à la relance de l’Université et du syndicat durant la période 2000-2005. L’auteur y insiste sur l’importante présidence de Louis Dumont, sur les sondages concernant les conditions de travail des membres menés par Claire Durand, sur les négociations collectives des années 2000, sur la lutte pour la dénonciation des structures de l’Université et pour l’élection démocratique du recteur en 2004-2005, et enfin sur la grève partiellement réussie de 12 jours des professeurs à l’hiver 2005, qui a finalement forcé l’administration à négocier sérieusement avec le SGPUM. Rouillard conclut en disant : « Cet arrêt de travail, impensable quelques années plus tôt, marque l’aboutissement de cinquante ans de progression dans le sentiment de cohésion syndicale chez les professeurs et chercheurs… L’avenir apparaît prometteur pour la suite de l’histoire du SGPUM » (p. 232-233).

L’ouvrage se clôt avec une chronologie et la liste complète des membres des comités exécutifs du SGPUM (et des associations qui l’ont précédé) avec leurs années de service. L’auteur a consulté une masse impressionnante de documents puisés dans les archives du Syndicat et de l’Université et il a mené de très nombreuses entrevues, non seulement avec les fondateurs et les pionniers, mais aussi avec des officiers, des employés et des membres actuels et récents du SGPUM. Le résultat final est un ouvrage d’une grande valeur historiographique et sociologique, qui mérite d’être lu par tous ceux qui veulent connaître ce phénomène fascinant qu’est le syndicalisme universitaire québécois. C’est une oeuvre magistrale qui restera comme un modèle du genre et qui aidera des générations futures de professeurs à bâtir sur les acquis des luttes de ceux qui les ont précédés.