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Cet ouvrage reprend la thèse de doctorat en sciences de l’éducation obtenu par l’auteur en 2003 à l’Université de Montréal. Il a pour but principal « de mettre en lumière la contribution du Séminaire Saint-Joseph [de Mont-Laurier] au développement intégral des Hautes-Laurentides, cela par la création d’une élite d’une classe moyenne » (p. 19). Le volume compte trois parties.
La première présente le contexte précédant et entourant la fondation et l’histoire du Séminaire Saint-Joseph, ainsi que des éléments clés sur l’histoire de l’enseignement classique, la colonisation périlaurentienne, la géographie et le développement des Hautes-Laurentides et de Mont-Laurier, sans oublier l’évolution socioreligieuse du Québec et ses effets sur Mont-Laurier. Si le curé Antoine Labelle a certes voulu coloniser les Hautes-Laurentides, c’est aussi lui qui a imaginé la création d’un collège d’enseignement supérieur dans cette région dont il voulait voir le « développement intégral ». C’est le concept clé qui traverse l’ouvrage tout entier. Labelle, rappelle-t-il avec Gabriel Dussault, voulait développer non seulement un monde rural « mais aussi bien un monde urbain et manufacturier » (p. 50). Malheureusement, ce concept n’est guère explicité (surtout son deuxième terme), sinon pour affirmer qu’avec la production d’une élite et d’une classe moyenne, on peut parler de « développement intégral […] par les inévitables interrelations politiques, économiques et culturelles que cette production générera » (p. 23). La formule prend parfois une tournure curieuse, comme dans ce passage : « Nous disons que le Séminaire cherche à former des élites et des classes moyennes, ce qui constitue du développement intégral » (p. 24) ! Paradoxalement, l’auteur devient soudain mal à l’aise : en fait, le séminaire poursuit comme but premier la formation du clergé et il fermera d’ailleurs brusquement ses portes en 1964 sitôt que l’évêque constatera que la chose n’est plus possible. L’explication de l’auteur est bien alambiquée (p. 25). En somme, la contribution du séminaire au développement intégral de la région, du moins dans son cours classique, est comme un heureux effet secondaire.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur reconstitue la trame événementielle du développement de l’institution et il décrit la vie quotidienne dans ses éléments principaux, en particulier, la promotion du nationalisme, second thème de l’ouvrage. Le récit prend sa source dans les archives du séminaire et dans un certain nombre d’entrevues auprès d’anciens professeurs et élèves. Les principaux intérêts de cette partie portent sur la genèse et la fermeture très rapide du séminaire (en 1964) et sur la présence (jusqu’en 1938) d’un cours commercial en même temps que le cours classique, et qui accueille même un nombre supérieur au second. Mais le récit apparaît très anecdotique. Je cite au hasard : « En novembre, à la fête épiscopale de Mgr Limoges, on souligne régulièrement l’événement par une messe évidemment, mais aussi par des représentations spéciales, comme un spectacle de la chorale du Séminaire (1946) ou, le plus souvent, une ou même deux pièces de théâtre » (p. 131). La place importante qu’occupent les photographies très conventionnelles dans l’ouvrage confirme l’impression qu’on a de lire le livre souvenir d’un cinquantième anniversaire.
La troisième partie est certainement la plus stimulante, mais en même temps celle dont la construction est la plus déroutante. Elle commence par une introduction méthodologique. Suit un chapitre sur « l’origine et la destination sociale des élèves au Séminaire de Mont-Laurier de 1919 à 1938 ». S’intercale un chapitre dont la première partie présente les théories sur la production et la reproduction et dont la deuxième compare les résultats obtenus au chapitre précédent avec ceux observés aux séminaires de Nicolet et Chicoutimi. Le tout se termine par un chapitre sur « la provenance géographique des élèves » entre 1919 et 1938. Après 1938, les cahiers d’inscription des élèves font défaut. Dommage !
Le chapitre sur la production et la reproduction sociales est certainement le plus intéressant et surtout, le plus novateur. L’auteur effectue une analyse statistique du cheminement scolaire et de la persévérance des élèves tant du cours commercial que classique en fonction des catégories professionnelles de leurs pères. Une seconde analyse compare la profession connue des anciens élèves avec celle de leurs parents. En résumé, l’auteur constate que les fils de catégories professionnelles plus élevées persévèrent davantage et choisissent des professions en général de même niveau. Les 90 prêtres recensés jusqu’en 1938 viennent toutefois majoritairement des catégories sociales dites inférieures, en particulier d’un père cultivateur ou ouvrier non spécialisé. On s’étonne cependant de ne pas trouver de critique des sources utilisées ni non plus les tests statistiques d’usage. Quant aux comparaisons du chapitre suivant avec d’autres collèges classiques, l’auteur conclut que « Mont-Laurier a engendré un éventail socio-professionnel mieux réparti qu’à Chicoutimi » et qu’il a donc mieux contribué au développement intégral de la région. À Nicolet, par contre, la situation est comparable à celle de Mont-Laurier. Le dernier chapitre traite de l’origine géographique des élèves pour la période 1919-1938. On y apprend que des 501 élèves du cours commercial, 77 % venaient du diocèse de Mont-Laurier contre 43 % au cours classique. De même, 11 % venaient des États-Unis. À cet égard, la situation était étonnamment comparable, malgré l’éloignement, à celle de Nicolet et Trois-Rivières. Autre statistique intéressante : la persévérance des élèves augmente avec leur proximité géographique du séminaire.
La perspective centrale de l’ouvrage, soit de montrer la part jouée par le Séminaire de Mont-Laurier dans le développement des Hautes-Laurentides, est intéressante. L’institution l’a fait certainement directement par son cours commercial et de façon seconde par son cours classique puisque son but premier était de former des prêtres, soit 90 sur 490 finissants jusqu’en 1938 ou 20 % de l’ensemble. Après, on ne sait pas. Malgré la fragilité méthodologique de la démonstration, il est apparu assez clairement que le séminaire a en gros reproduit les classes sociales auxquelles les parents appartenaient sauf chez les fils d’agriculteurs pour qui la prêtrise a été une voie de promotion sociale dans le contexte de l’époque d’avant-guerre, du moins jusqu’en 1938.
Au total, on reste perplexe devant cet ouvrage, sans doute parce que l’auteur a mal circonscrit son objet. Ainsi, la troisième partie s’intéresse-t-elle à la formation d’une élite, mais elle s’enlise dans des considérations sur la reproduction des classes sociales, ce qui est un autre sujet intéressant certes, mais qui s’éloigne de la visée première de l’ouvrage. On ne dit rien sur la rétention des finissants dans la région, ce qui est évidemment une donnée majeure en ce qui a trait au développement régional et le silence sur la période d’après 1938 constitue une limite importante, compte tenu des grands bouleversements qu’on y observe.
Bref, l’ouvrage manque nettement de cohérence. Malheureusement, il ne marquera pas l’historiographie des collèges classiques du Québec.