Comptes rendus – Sociologie du suicide

Michael J. Chandler, Christopher E. Lalonde, Bryan W. Sokol et Darcy Hallett, Personal Persistence, Identity Development, and Suicide : A Study of Native and Non-Native North American Adolescents, Boston et Oxford, Blackwell Publishing, Monographs of the Society for Research in Child Development, vol. 68, 2003, 139 p.[Record]

  • Caroline Malhame

…more information

  • Caroline Malhame
    Étudiante à la maîtrise en sociologie,
    Département de sociologie et d’anthropologie,
    Université Concordia.

Dans la première section, les chercheurs étayent leur approche théoriquement en appréhendant le suicide comme symptôme d’un problème d’identité. Ils insistent sur le fait que la continuité personnelle, ou l’identité à soi-même dans le temps, est un élément constitutif de la personne et soutiennent que le maintien d’une identité est essentiel pour donner un sens à la vie personnelle et sociale. En procédant à une revue de la littérature sur le sujet, les auteurs reformulent un ancien paradoxe qui doit être résolu par l’individu dans le processus de son développement identitaire, en l’occurrence que tout humain, s’il doit sans cesse évoluer et s’adapter aux changements dans son environnement, doit en même temps être en mesure de ne pas changer intrinsèquement, demeurant identifiable en tant qu’être constant à travers les transformations qu’apporte le temps. Les conséquences pour la personne d’échouer à se comprendre en tant qu’être singulier et continu dans le temps sont également abordées. L’incapacité de s’identifier à soi-même et de faire le lien entre les moments du passé et du présent, à travers un processus d’anticipation et de rétrospection (backwards referring and forward anticipating), entraîne les jeunes concernés à ne plus se soucier des personnes qu’ils sont en train de devenir. Ceci les expose aux dangers du suicide lorsqu’ils sont confrontés à la dure réalité de la vie. Dans la deuxième section, les auteurs opérationnalisent cette conception de l’identité afin de pouvoir évaluer les effets néfastes du manque à se concevoir comme le même dans le temps. Des travaux méthodologiques d’une finesse remarquable, développés sur une dizaine d’années de recherche, sont parvenus à mesurer les stratégies et les notions que les jeunes acquièrent pour comprendre leur propre persistance. Les jeunes ont été interrogés relativement à la manière dont ils conçoivent leur propre identité. On leur a demandé, dans un premier temps, de parler d’eux tels qu’ils étaient il y a cinq ans et tels qu’ils sont aujourd’hui et, dans un deuxième temps, d’expliquer comment ils conçoivent qu’ils sont restés les mêmes en dépit des changements à travers lesquels ils sont passés. D’une manière analogue, les répondants ont été interrogés sur plusieurs versions illustrées d’oeuvres littéraires lors d’entretiens structurés. Ils ont eu à expliquer comment des personnages tels que Jean Valjean dans les Misérables, Ebenezer Scrooge, l’Harpagon anglo-saxon, ou encore la Femme-Ourse de la mythologie autochtone, ont pu demeurer les mêmes personnes malgré les transformations subies au cours des différentes histoires. Notons au passage que les explications relatives au maintien de l’identité propre ou à celui de l’identité des personnages se recoupent absolument. Il ressort de cette étude que les jeunes en grandissant ont tendance à élaborer une manière de plus en plus sophistiquée de réfléchir sur l’autocontinuité. Non seulement la perception de leur propre continuité se développe-t-elle à travers le temps, mais cette évolution présente un parallélisme remarquable avec les étapes du développement cognitif identifiées par Piaget. Au total, cinq différents niveaux relatifs au développement de stratégies de maintien de soi ont été discernés. Deux modes de stratégies, l’un existentialiste et l’autre narrativiste, utilisés par les adolescents dans la négociation de leur « continuité personnelle » face au changement, ont été relevés. Cette typologie du développement avec ses deux modes et ses cinq niveaux associés a par la suite servi comme modèle pour quantifier et classifier les réponses des participants dans les études subséquentes de l’ouvrage. On ne s’attardera pas sur ces stratégies, traitées en détail dans ce dernier. Les chercheurs se penchent ensuite sur la question du suicide chez les adolescents et parviennent à expliquer pourquoi les jeunes d’aujourd’hui se suicident de 5 à 20 …