Article body

Dans Les yeux de Maurice Richard, Benoît Melançon cherche à se démarquer du genre biographique en proposant une histoire culturelle du personnage. À partir des multiples et fort diverses productions culturelles qu’a inspirées ce joueur de hockey hors du commun, l’auteur cherche à cerner l’époque, l’homme et sa place dans l’histoire d’un peuple. Faire une histoire culturelle c’est laisser des films, des chansons, des poèmes ou encore des objets nous parler chacun à leur manière de cet être d’exception. Melançon procède, dans un premier temps, à un inventaire exhaustif des produits culturels associés directement ou pas au fameux numéro neuf. Il s’attaque ensuite plus spécifiquement aux événements qui ont entouré l’émeute du Forum au printemps de 1955 et termine par une réflexion sur le concept de mythe.

Après une courte mise en contexte du personnage, la première partie de l’ouvrage se présente comme une recension exhaustive des divers échos de la carrière de Maurice Richard. C’est l’occasion de prendre la mesure de l’ampleur du phénomène vu la richesse du corpus exposé ici. L’auteur s’attarde entre autres à la culture matérielle laissée dans le sillon du Rocket. Le fétichisme atteint des niveaux inégalés alors que le visage, le nom, le numéro se retrouvent sur les objets les plus divers. Sous l’impulsion de la radio principalement mais aussi de la télévision, encore toute jeune, on assiste au début des pratiques de marchandising, de commandite sportive. Il aurait d’ailleurs été intéressant que l’auteur pousse plus loin sa réflexion sur une des premières « image de marque » typiquement canadienne. Bon père, mari fidèle puis grand-père attentionné, les produits endossés par Richard ne semblent pas souffrir des écarts de conduite du célèbre numéro neuf sur la patinoire bien au contraire. On apprend ainsi qu’un des plus grands collectionneurs de produits richardiens est Richard lui-même. Curiosité ; l’auteur ne fait que relever ce fait qui nous semble fort instructif sur l’individu, sur son rapport à ce qu’il a fini par représenter.

Un des thèmes repris dans l’imposante production qui a entouré le Rocket, l’inévitable jeu des comparaisons. Question d’échelle, de proportions, il fallait à cette époque que les Canadiens français prennent la mesure de leur champion en regard de celle des autres américains, européens. Melançon montre d’ailleurs que certains commentateurs dérapent inévitablement et sortent sans gêne du cadre sportif. L’auteur lui-même dérape, emballé sans doute par ce qu’il trouve, il va jusqu’à suggérer une érotisation de Maurice Richard dans l’imaginaire social. On veut bien admettre que le citron Richard ait été pressé à la limite et qu’il ait suinté dans tous les replis culturels mais ici la base est mince, l’argumentaire peu convaincant.

Le corps de ce livre est le chapitre consacré à l’émeute du printemps 1955. Le procédé est le même, un rappel des faits qui ont conduit à cette fameuse soirée du 17 mars suivi de toutes sortes d’analyses et de comptes rendus. Encore une fois, il ne s’agit pas pour Melançon de prendre position sur le sens des événements mais plutôt de mettre en relief les diverses interprétations qu’on en a proposées. La dimension politique de l’événement est bien entendu soupesée. Le point de vue toujours dominant est que la suspension du héros des Canadiens français par le patron unilingue anglophone de la ligue nationale de hockey est l’occasion de raviver le vieux contentieux entre les deux communautés linguistiques. Certains y ont vu un des événements précurseurs du mouvement d’affirmation nationale qu’a été la Révolution tranquille. On sent l’auteur déçu de la quasi-unanimité autour de cette interprétation, à la recherche de points de vue originaux. Il faut reconnaître deux mérites à ce chapitre central de Melançon. D’abord, il se questionne sur la place de Richard lui-même dans les événements qu’on a tendance à oublier tant les faits et leur ampleur dépasse et en même temps magnifie le personnage. Ensuite, il s’intéresse aux analyses des anglophones, à leur appropriation de ce mouvement de protestation spontané comme si le héros n’était pas que francophone. De Montréal ou de Toronto, quelques voix réfutent le « tour ethnique » pris par cette soirée de mars 1955.

C’est avec un retour sur le concept de mythe en son sens moderne que Melançon termine son ouvrage. Il propose ici plusieurs critères de définition du mythe moderne à partir de la portée temporelle, du caractère merveilleux et de la nécessaire dimension collective. L’auteur insiste sur l’importance du médium de la radio dans l’élaboration du mythe Richard alors que l’absence d’image permet d’amplifier, de magnifier un événement, un personnage.

Dans l’ensemble cet ouvrage nous laisse sur notre appétit. Bien qu’il offre une approche originale, l’auteur n’y développe aucun point de vue original. Cette collection d’analyse de la fusée Richard permet simplement de retrouver des souvenirs, de ramener des points de vue à la surface. D’ailleurs, il nous semble qu’il s’agit d’un livre sans véritable public.