Comptes rendus

Yves Frenette, Marcel Martel et John Willis (dirs), Envoyer et recevoir. Lettres et correspondances dans les diasporas francophones, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, xii-298 p. (Culture française d'Amérique.)[Record]

  • Christine Hudon

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  • Christine Hudon
    Département d’histoire,
    Université de Sherbrooke.

Illustrer la vie des immigrants et susciter de nouvelles enquêtes : telles sont les intentions premières du collectif Envoyer et recevoir, qui réunit une dizaine de chercheurs autour du projet d’entrer « dans l’univers mental des francophones des diasporas et de leurs correspondants » et d’étudier leurs réseaux à l’échelle du continent. La première partie regroupe les réflexions méthodologiques d’Ariane Bruneton-Governatori, d’Hernãn Otero et de John Willis sur la collecte et l’utilisation des lettres dans l’étude du phénomène migratoire. France Martineau et Annie Avard, Mario Mimeault, puis Marcel Martel analysent dans la deuxième partie des correspondances familiales afin de cerner les préoccupations et le parcours de vie de trois groupes d’épistoliers, des hommes et des femmes d’origines et de milieux divers. Dans une troisième partie, Audrey Pyée et Matteo Sanfilippo montrent les usages possibles des lettres adressées, d’une part, au clergé paroissial, d’autre part, à Rome. Enfin, deux contributions respectivement signées par Jean Morency et Michel Bock examinent la correspondance de deux intellectuels, Louis Dantin, poète et critique littéraire exilé aux États-Unis, et Lionel Groulx, historien nationaliste, auteur d’une correspondance suivie avec plusieurs figures importantes de la diaspora canadienne-française. La richesse et la diversité des documents analysés dans les dix contributions confèrent à l’ouvrage son intérêt. Les quelques cartes postales et, surtout, les missives, les unes très longues, les autres beaucoup plus courtes, qu’il nous présente racontent dans une langue tantôt soignée, tantôt familière le travail au quotidien, les succès des uns, les déboires répétés des autres. Ces documents disent l’espoir et l’espérance, l’ennui, le chagrin et la détresse. Comme le souligne Hernãn Otero, la lettre permet de « compléter et nuancer les images émergentes des discours historiques fondés sur l’analyse quantitative ». Sans contredire celle-ci, les lettres apportent à l’histoire éclat et profondeur, pour reprendre une jolie formule d’Yves Roby, dans la préface du livre. Plusieurs lettres présentées dans ce collectif montrent les efforts des immigrants pour garder contact avec les proches restés au pays ou la parenté dispersée. Quêtant du réconfort moral ou un soutien financier, voulant apaiser l’inquiétude et l’angoisse de la séparation, des gens « ordinaires » écrivent à leur père et mère, leur fils ou leur fille. La plupart des contributions soulignent d’ailleurs le rôle central de la famille, non seulement dans le processus migratoire, mais aussi dans la vie de l’exilé, qui cherche à maintenir les liens avec les proches et le pays, par-delà la distance. La famille « offre un lieu de réconfort lors des épreuves », souligne Marcel Martel dans sa contribution (p. 195). Cette conclusion est-elle applicable à tous les cas ? Tous les migrants ont-ils une expérience positive de la famille ? Certains documents cités dans l’ouvrage laissent en tout cas entrevoir des situations contrastées, mettent en lumière des rapports détériorés, marqués par le ressentiment ou l’indifférence. Voici, par exemple, cette femme ayant laissé ses proches sans nouvelles pendant 50 ans (Willis), cet homme, qui, peut-être las des éternelles difficultés de sa fille, néglige de lui répondre (Mimeault), ces autres fils, encore, qui ignorent les exhortations maternelles à écrire (Pyée). En enfilant ces exemples et en songeant à tous les autres cas qu’il est impossible de documenter – les sources révélant davantage les rapports qui perdurent que ceux qui se distendent – on se dit, justement, que c’est peut-être une dimension de l’histoire des migrations qu’il faudrait chercher à approfondir. Et si la correspondance permettait de nuancer cette image de familles solidaires et unies, aux relations essentiellement harmonieuses ? Et si l’émigration donnait aussi à certains la possibilité de s’émanciper du milieu familial ? En refermant ce livre, on …