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Spécialiste d’histoire religieuse et d’histoire des moeurs, Serge Gagnon a tiré plusieurs ouvrages majeurs des écrits des évêques et des prêtres québécois de la fin du XVIIIe et de la première moitié du XIXe siècle. Attitudes envers la mort, sexualité, mariage, famille, croyances religieuses, autant de traits de moeurs scrutés par le biais des correspondances entre les curés et leur évêque, révélatrices à la fois de la norme religieuse et de ses infractions mais également d’une pratique pastorale et des conceptions théologiques qui l’inspiraient. Dans un nouvel ouvrage qui, contrairement à ce qu’annonce la 4e de couverture, n’est pas un ouvrage de vulgarisation et ne se lit pas comme un roman, l’historien analyse les mêmes sources mais cette fois il dirige sa lorgnette vers l’institution cléricale et ses représentants au Bas-Canada (1791-1840), période où « le Québec manquait de prêtres ». Avec une vaste documentation qu’il connaît à merveille et exploite avec méthode et un talent de conteur remarquable, Serge Gagnon trace le portrait d’une Église qui poursuit ses activités dans un territoire en expansion avec des ressources professionnelles insuffisantes. À travers l’étude de ces prêtres, de leur formation, de leurs activités pastorales ainsi que des signes multiples d’épuisement professionnel découlant de leur petit nombre, on assiste à une présentation documentée de la consolidation d’une institution et de ses ancrages économiques et éthiques dans la population destinataire. Cette institution dont il démonte les mécanismes de contrôle social et de financement mais aussi la vision religieuse et l’organisation, est abordée par le biais de ses acteurs, évêques et prêtres dont il traque les échanges épistolaires et analyse des sermons. S’appuyant sur leurs points de vue, l’auteur évoque aussi ce peuple auquel les sermons sont destinés, qui tient ses prêtres au confessionnal, les surveille et parfois les dénonce.

Dans un long premier chapitre descriptif et plutôt monotone mais essentiel à la démonstration qui suit, il trace le portrait de cette rareté de main-d’oeuvre disséminée dans les paroisses et missions ainsi que des stratégies mises en place par les évêques pour rejoindre la population desservie et l’évangéliser en mettant l’accent sur la prédication et la confession. Attribution d’une double et même triple paroisse, maintien des vieux prêtres en office jusqu’à des âges canoniques, études écourtées des séminaristes envoyés prêter main forte pour confesser au temps pascal, création des premiers collèges en dehors des villes, telles sont les caractéristiques de cette activité professionnelle décrite comme « une tâche exténuante ». Cette tâche sera décortiquée dans les chapitres subséquents : d’abord les prônes et sermons auxquels sont consacrés deux chapitres, les confessions qui en couvrent deux autres, puis un dernier qui s’attarde aux confesseurs, héros de cette étude.

Ce sont de nombreuses facettes de la société préindustrielle qui se présentent à chaque page, au fil des anecdotes parfois savoureuses et des problèmes de conscience des confesseurs sollicitant un conseil ou une dérogation à leur évêque, ou demandant d’abandonner une tâche trop lourde, un milieu isolé. De l’ensemble des analyses se dégage, par-delà la diversité des personnes et des témoignages, une réflexion sur la fonction de la confession dans cette société de la pénurie, confession dont l’historien évoque par moments le côté civilisateur et rassurant en lien avec la vision du salut après la mort que dispense aussi le clergé. L’enseignement de cette « espérance du salut » n’était pas monolithique comme le montre le chapitre qui analyse trois styles de sermons et trois personnages de prédicateurs dont les attitudes relèvent ou de la tolérance et de la compassion ou du rigorisme et de la peur.

Parmi les péchés traités au chapitre 5, celui du non-paiement de la dîme prend un singulier relief dans cette « économie du salut » puisque le curé pouvait refuser la confession ou la communion à ceux qui n’acquittaient pas leurs dettes envers la paroisse, la remise de ce péché étant réservée à l’évêque. Or, faillir à l’obligation de faire ses Pâques était une faute mortelle et pouvait mener en enfer. Le dernier chapitre consacré aux confesseurs met en évidence que par-delà les incartades de quelques-uns et les scrupules d’un petit nombre que les évêques écartaient du confessionnal, la plupart des curés de l’époque ont exercé leur métier avec application, parfois au péril de leur vie sans susciter de plaintes de la population. S’ils apparaissent dans cet ouvrage comme les premiers otages de cette pastorale qui les obligeait à confesser interminablement au temps pascal et à se porter au chevet des malades peu importe le jour, la distance et le climat, la question de la réception des normes dans la population et son amour de la confession demeurent des sujets à poursuivre par d’autres sources. Cette vue indirecte par les acteurs du système clérical au Bas-Canada révèle cependant une dimension importante de la société de l’époque.