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Certains estiment que la meilleure façon de lutter contre la pauvreté consiste à créer la richesse. Non pas pour la partage, mais bien pour générer des profits qui, surtout s’ils ne sont pas grevés par une fiscalité trop répressive, permettront de libérer des sommes additionnelles qui à leur tour créeront encore plus d’emplois. D’autres voient la chose autrement. Ils sont d’avis que la lutte contre la pauvreté ne concerne pas que les gens d’affaires. Elle passe aussi par les entrepreneurs sociaux. Ses espérances ne tiennent pas qu’à la santé relative du marché du travail. Elles reposent également sur l’entraide, sur la solidarité, sur les efforts de tous ceux qui misent sur le potentiel de développement des individus et des collectivités. C’est à ces gens et aux dynamiques dans lesquelles s’inscrit leur action qu’Ulysse et Lesemann s’intéressent, en se penchant sur le cas de Trois-Rivières, ville réputée pour l’engagement de nombreux acteurs en matière de développement social.

Le propos des auteurs s’appuie sur un corpus de vingt-cinq entrevues menées auprès de citoyens qui vivent depuis longtemps à Trois-Rivières. C’est sur la foi de leur témoignage qu’Ulysse et Lesemann entendent comprendre les dynamiques ayant favorisé la revitalisation de la ville après une chute vertigineuse des emplois manufacturiers et bien rémunérés (p. 3). Les personnes rencontrées font un diagnostic juste des obstacles qui ont ralenti jusqu’à tout récemment le développement de Trois-Rivières : exode des jeunes, dépendance à la grande entreprise, manque de créativité entrepreneuriale, main-d’oeuvre mal préparée aux exigences d’un marché du travail en voie de technologisation rapide, absence de dynamisme régional, tensions entre les acteurs, conflit perpétuel menant à une rupture plus fondamentale entre la classe politique et le reste de la collectivité (p. 23).

C’est dans ce contexte que les acteurs impliqués dans ce qu’Ulysse et Lesemann désignent comme étant des structures médiatrices non étatiques oeuvrent à la revitalisation de la ville. Ces derniers s’activent sur plusieurs plans, plus particulièrement dans les domaines de l’économie sociale et de la réinsertion en emploi par le développement de l’employabilité. Au-delà du cercle de services à la personne, un grand nombre d’entre eux s’intéressent en outre au développement local intégré. Ils cherchent notamment à promouvoir une gouvernance plus participative, une gouvernance, pour reprendre les mots d’Ulysse et Lesemann, dont les frontières seraient plus poreuses entre l’État, le marché et la société civile. Ulysse et Lesemann concluent, à partir de là, à la réussite de l’expérience de la revitalisation de Trois-Rivières. Ils identifient en conséquence toute une série de facteurs pour en rendre compte. Parmi eux ils évoquent le leadership, la culture de la concertation, la réappropriation critique des discours, la relation de confiance entre les partenaires, la chaîne de cohérence de production des politiques, l’articulation des différents savoirs, l’approche de la citoyenneté et autres. On ne peut pas douter que ces éléments constituent autant d’ingrédients d’une recette gagnante.

Mais encore ? Par exemple, quelle est la couleur particulière à Trois-Rivières de ce leadership qui rallierait la communauté des intervenants communautaires ? Comment se déploie cette soi-disant chaîne de cohérence entre les instances de la société civile et les décideurs politiques ? L’articulation des différents savoirs passe certainement par la participation à des groupes de recherche et par la tenue de colloques internationaux. Mais comment s’opère le transfert des connaissances dans les pratiques de revitalisation ? On a le sentiment que les déductions d’Ulysse et Lesemann sont parfois insérées ici et là telles des propositions de manuel au service d’une pédagogie bien intentionnée mais néanmoins un peu désincarnée. On aurait aimé une meilleure intégration entre les données qualitatives et l’instrumentation théorique du livre. Le cas de l’analyse dite multiscalaire présenté au dernier chapitre est à cet égard éloquent. Les deux petits paragraphes qui lui sont réservés ne sont pas suffisants pour en comprendre toute la portée. Surtout pour en appliquer les règles au cas de la ville de Trois-Rivières.

On notera au passage quelques erreurs d’édition, en particulier l’orthographe de la ville de Bécancour qui est fautive et le fait de désigner la ville de Cap-de-la-Madeleine par le nom de Trois-Rivières-est. On pourrait aussi contester le choix d’illustrer la page couverture avec une oeuvre du peintre Aristarkh Lentulov représentant une mosquée dans un village russe ! Qui connaît bien le milieu sait que ce ne sont pourtant pas les artistes locaux qui manquent. On pense ici aux jeunes de la rue regroupés autour du peintre Jean Beaulieu dont les vitraux font l’orgueil du milieu communautaire. Une si belle expérience de revitalisation par les arts aurait gagné à être mise en valeur… Ne boudons pas notre plaisir avec ces broutilles. Le livre d’Ulysse et Lesemann demeure indispensable. Les données empiriques et les notions du cadre conceptuel ne sont pas parfaitement intégrées, mais à Trois-Rivières, grâce à eux, le rapprochement entre la communauté des chercheurs et celle des entrepreneurs sociaux est néanmoins opéré. C’est de bon augure.