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Le livre de Patrick Guillemet sur la « saga » de la Télé-université de l’Université du Québec (TÉLUQ), bien que l’auteur n’emploie pas ce terme, se lit comme un roman historique : une trame tissée de nombreux rebondissements, des acteurs imbus d’idéologies et d’approches contrastantes, des enjeux importants dont celui de la survie organisationnelle et une crise identitaire quasi permanente. Parfois, on se croirait en pleine Chronique d’une mort annoncée, roman du prix Nobel Gabriel García Márquez, sauf que la mort (organisationnelle) ne s’est jamais concrétisée et que chaque période historique se termine par des ajustements qui projettent l’organisation dans le futur et lui permettent de continuer à oeuvrer. L’auteur puise aux sources de l’ancien et du nouvel institutionnalisme pour analyser en profondeur le devenir de TÉLUQ, de sa création en 1972 jusqu’en 2006 après son rattachement à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), le découpant en six périodes ou phases distinctes.

La première période (1972-1974) est celle de la naissance du dessein d’une formation à distance au service de l’Université du Québec (UQ) dans un cadre expérimental. Plusieurs facteurs seraient à la base de ce projet : l’évaluation de vastes besoins de formation universitaire, le leadership des promoteurs et l’intérêt du défunt Conseil des universités. Mais dès le début, ce projet généreux se heurte à l’opposition des constituantes de l’UQ et, même si on lui reconnaît une autonomie administrative et financière tout comme l’autonomie universitaire, la Télé-université n’obtient pas l’exclusivité de la formation à distance à l’intérieur du réseau de l’UQ. L’auteur, sur un ton optimiste, écrit à propos de ce revers: « […] elle [la Télé-université] survit, et c’est sans doute le principal » (p. 31).

La deuxième période (1974-1981) est témoin d’un débat sur l’autonomie de la Télé-université et son implication dans des programmes de formation des maîtres (PERMAFRA et PERMAMA) que les constituantes de l’UQ revendiquent en raison du mandat original de l’UQ. La Télé-université perdra la formation des maîtres à la suite de ces affrontements. Par ailleurs, il y a eu une forte croissance des clientèles de la TÉLUQ dans cette période, bien supérieure à celle des constituantes régionales. L’auteur conclut l’analyse de cette période en avançant l’hypothèse de ce qu’il appelle « une tutelle qui ne veut pas dire son nom » (p. 76).

La période suivante (1981-1985) se solde, selon l’auteur, par un bilan positif. On constate, au début de la décennie des années 1980, une réduction dans le coût par EETC (équivalent étudiant à temps complet), alors que l’on assistait, tant dans le réseau UQ que dans les autres universités québécoises, à leur augmentation. Mais dès 1983, TÉLUQ perdra environ 23 % de sa clientèle en raison de la décision du gouvernement du Québec de plafonner la formation générale, pour les enseignants en exercice, à 14 années de scolarité après l’obtention d’un diplôme de formation collégiale. À la suite d’ajustements, TÉLUQ prend un nouvel élan en réactivant son projet institutionnel à inscrire dans une demande de lettres patentes. Il faut noter par ailleurs qu’elle aurait eu, selon l’auteur, une influence appréciable sur les travaux de la Commission d’étude sur la formation des adultes (Commission Jean). Toutefois, le gouvernement ne lui accorde qu’une place marginale en optant pour la création de la Société de formation à distance. Un fait saillant de la période suivante (1985-1988) fut, sans doute, le refus du gouvernement, en 1988, d’octroyer à TÉLUQ les lettres patentes qu’elle avait demandées. Le gouvernement décrétera alors un moratoire de cinq ans avant qu’une nouvelle demande de lettres patentes ne lui soit adressée. Des questions concernant des coûts trop élevés et une offre de formation ne cadrant pas avec les orientations du gouvernement du Québec seraient à la base du refus de l’octroi.

Il y aura un renversement de situation dans la période suivante (1988-1992), alors que le gouvernement du Québec, par suite d’un changement de Ministre, décide d’octroyer à la TÉLUQ, le 26 février 1992, des lettres patentes qui l’instituent comme une école supérieure autonome faisant partie du réseau de l’UQ. Dans un long chapitre sur les facteurs d’institutionnalisation, l’auteur examine les circonstances de l’octroi de ces lettres patentes. Fait à signaler, il croit que le changement de Ministre, à la suite de la « crise d’Oka » à l’été de 1990, a été un facteur décisif dans l’octroi.

Malgré l’obtention des lettres patentes, les quatorze années suivantes de l’histoire de cette organisation (1992-2006) seront tumultueuses,  notamment en raison de l’échec de l’établissement d’un campus virtuel et d’une grave crise de gouvernance. Cette période se termine par le rattachement de TÉLUQ à l’UQÀM, le 18 mai 2005, avec le lot des problèmes qu’il a entraînés, particulièrement au plan des relations de travail. Désormais, TÉLUQ sera une composante de l’UQÀM - « l’université à distance de l’UQÀM » et du coup, les « grands rêves » s’estompent pour s’ajuster aux « dures réalités », comme l’auteur dépeint la dernière période de son découpage historique.

L’histoire mouvementée de TÉLUQ, si bien rendue par l’auteur, alimente la réflexion de ceux qui s’intéressent à la sociologie des organisations. TÉLUQ est un bel exemple de ce que les institutionnalistes appellent la modification ou l’ajustement des buts organisationnels (goal displacement) à des fins de survie. Reste à voir si, dans la conjoncture financière défavorable de l’UQÀM dans les années 2007-2008, cette « université dans l’université » saura à nouveau s’ajuster pour continuer à offrir des services de formation à distance de qualité. Malgré un style quelque peu lourd en raison de nombreuses répétitions et de retours sur des aspects déjà discutés, cet ouvrage constitue une référence de premier ordre pour tous ceux qui s’intéressent à l’enseignement supérieur et, en particulier, à la formation universitaire à distance.