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Les Presses de l’Université Laval ont réédité la biographie de Wilfrid Laurier écrite par Réal Bélanger, parue pour la première fois en 1986. Si cette biographie est destinée au grand public, elle repose néanmoins sur une recherche sérieuse. L’absence de tout appareillage technique, ou presque, permet à l’auteur de raconter de manière vivante la vie de l’ancien premier ministre. Partant de l’enfance de Laurier et de ses années de formation, Bélanger discute ensuite de son opposition à la Confédération, de son élection à la Législature provinciale puis au Parlement fédéral ainsi que de son ascension au Cabinet, à la chefferie du Parti libéral et à la tête du gouvernement canadien. Il clôt son histoire par la chute de Laurier en 1911 et ses vains efforts pour reconstruire son parti durant la Première Guerre mondiale.

Dans l’ensemble, Bélanger réussit à bien mettre en contexte le personnage tout au long du volume. Néanmoins, il ne s’attarde à la vie privée de Laurier que dans la première moitié de l’ouvrage. En fait, il a peu à dire à ce sujet après le mariage de Laurier avec Zoé Lafontaine. La plupart de ses commentaires portent par la suite sur la relation que Laurier a entretenue avec Émilie Lavergne, la femme de son associé. S’il accorde une certaine importance à cette relation ambiguë, il n’apporte malheureusement aucune preuve qu’elle ait été autre chose que platonique. Il est regrettable que cette question ait été traitée de manière aussi superficielle et désinvolte dans la mesure où le reste de l’ouvrage est fouillé. Le lecteur a l’impression qu’il s’agit d’une simple supposition, d’un vulgaire potin mentionné pour satisfaire un public friand de scandales sexuels.

La seconde moitié de la biographie est essentiellement consacrée aux activités politiques de Laurier. Cette section se démarque résolument des ouvrages antérieurs célébrant les compromis négociés par le premier ministre. Sous la plume de Bélanger, Laurier est dépeint comme un opportuniste à qui le courage faisait cruellement défaut. Le politicien « à la langue d’argent » prend ainsi les traits d’un homme corrompu, prêt à trahir ses principes et ses convictions pour conserver le pouvoir, pour sauvegarder l’unité de son parti et de son pays. Sa vie se présente comme celle d’une trahison de l’esprit de la Confédération qui se clôt sur un échec, aussi bien pour Laurier que pour le Canada. Pour renforcer sa démonstration, Bélanger organise ses derniers chapitres de manière à exposer en long et en large les échecs de Laurier avant de mentionner très brièvement ses succès et la prospérité qui a marqué son époque.

Si Bélanger se montre sévère envers Laurier, c’est en grande partie parce qu’il le juge à l’aune de sa propre conception de la Confédération. Selon lui, l’ancien premier ministre a trahi le rêve d’une nation biculturelle envisagé par les Pères fondateurs. Néanmoins, il ne juge pas nécessaire de démontrer qu’un tel rêve ait existé. Dans ce contexte, le lecteur en apprend autant sur la pensée de Bélanger et sur les années 1980 que sur l’époque de Laurier et ses convictions profondes. Ayant rédigé sa biographie au moment où la place du Québec au sein du Canada faisait l’objet de négociations après le rapatriement de la constitution, Bélanger fait la part belle à la question de la place de la minorité française au Canada et à ses droits à l’époque de Laurier. À ce sujet, il ne fait pas dans la dentelle. Il dénonce la manière avec laquelle Laurier a bafoué les droits de la minorité pour sauver l’unité nationale. Ses prises de position lors de la seconde révolte des Métis (1885), de la crise des écoles du Manitoba (1890-1896) et de la Guerre des Boers (1899-1903) sont vertement critiquées. Elles deviennent autant d’affronts contre l’idéal de 1867. Le lecteur se rend néanmoins rapidement compte qu’au-delà de Laurier, ce sont aussi les autres premiers ministres canadiens-français, à savoir Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien, qui sont visés, ce qui est confirmé dans la conclusion.

Dans l’ensemble, et malgré ses limites, l’ouvrage de Bélanger demeure un incontournable plus de vingt ans après sa publication. Certes, il a vieilli. Mais il n’en est que plus intéressant. Non seulement les lecteurs en apprennent-ils sur Laurier, mais ils peuvent aussi entrevoir en arrière-plan les idées qui circulaient au Québec au milieu des années 1980. Il montre également que, derrière les clichés, la pensée politique de Laurier est encore mal connue.