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Ce livre, qui traite pauvreté et d’exclusion sociale, propose de rendre compte des expériences vécues en matière de politiques et de programmes gouvernementaux de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale en Wallonie et au Québec. Le livre renferme quatre parties précédées d’une introduction qui, tout d’abord, présente l’ouvrage puis trace un portrait socio-démographique chiffré et très utile de chacune de ces régions. Ces quatre parties sont suivies d’une conclusion qui met en évidence la plus-value d’un tel exercice.
La première partie concerne la genèse et à la présentation des politiques et des programmes actuels propres à chaque région. Dans le chapitre qui se rapporte à l’expérience wallonne, il semblerait que ce soient les croisements de multiples rapports qui se sont succédé puis entremêlés qui ont donné lieu à la politique actuelle dont l’orientation principale est la préservation de la cohésion sociale. Au Québec, un Collectif de lutte contre la pauvreté a pu amener le gouvernement, à travers ses efforts et ses démarches (pétition, manifestations), à produire un énoncé de politique puis à proposer la Loi actuelle de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Cette Loi, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec en décembre 2002, s’incarne concrètement dans un plan d’action quinquennal qui est soigneusement présenté par Anne O’Sullivan. Cette première partie intéressera plus particulièrement les sociologues, les politologues, les institutionnalistes et les gestionnaires publics des deux côtés de l’Atlantique Nord.
La deuxième partie constitue un excellent exemple d’analyse comparative internationale. Elle se compose de trois chapitres. Le premier chapitre met à contribution les indicateurs d’usage sur l’emploi, le chômage, l’éducation et la santé de même qu’il situe l’incidence de la pauvreté au Québec par rapport à la Wallonie et à l’ensemble de l’Europe. Pour ce faire, les auteurs (Gauthier, Guio et Jean) utilisent un indicateur commun couramment adopté en Europe : la mesure du faible revenu, défini à 60 % du revenu médian individualisé. Ce chapitre contient beaucoup d’informations mais, à notre avis, il en ressort deux principaux constats. Tout d’abord, il semble que le Québec a beaucoup de chemin à parcourir s’il veut se positionner parmi les pays où il y a le moins de pauvreté (un objectif de la Loi) : dans le graphique qui effectue des comparaisons internationales (graphique 4, p. 99), il se situe au 14e rang sur 18, alors que la Belgique se situe au premier rang. Par contre, il semblerait qu’il se dessine un arbitrage social important entre diverses réalités : la Belgique a moins de pauvreté, mais aussi moins d’emplois, plus de chômage et surtout plus de chômage de longue durée (plus d’un an). Le Québec a plus de pauvreté selon les standards européens, mais compte plus d’emplois, moins de chômage et, pratiquement pas de chômage de longue durée. S’agit-il d’un choix de société ou est-ce plutôt le résultat d’une répartition différente du poids politique de différents groupes sociaux ? Le deuxième chapitre étend l’analyse de la pauvreté à des indicateurs complémentaires qui s’en réfèrent non plus à la seule dimension de fréquence ou du nombre de personnes vivant sous les seuils de faible revenu mais, d’une part, elle nous éveille à des analyses indispensables à propos de l’intensité aussi bien que de la gravité de la pauvreté et d’autre part, elle nous permet d’apprécier le degré d’aversion à l’égard de la pauvreté parmi les diverses sociétés. Ces indicateurs sont aussi bien expliqués qu’appliqués par les auteurs de ce chapitre (Fréchet, Guio, Lanctôt et Morin). Le troisième chapitre ajoute une dimension territoriale à l’analyse des indicateurs exposés dans le premier chapitre de cette partie. Ce chapitre et son annexe présentent des informations utiles et recherchées aussi bien par les gestionnaires que par les décideurs publics.
La troisième partie est la plus originale et la plus innovatrice de l’ouvrage. Le chapitre qui porte sur la Wallonie fait état d’un processus innovateur de croisement des savoirs et de consultation des « personnes qui font l’expérience quotidienne de la pauvreté », dont l’objectif était d’établir de nouveaux et meilleurs indicateurs de la pauvreté. Même si cet exercice a constitué, en soi, un échec plus ou moins prévisible, il a permis de mettre en évidence un certain nombre de faits importants. Premièrement, ces « personnes » ont pu montrer leur méfiance à l’égard des programmes destinés à les aider mais qui leur sont souvent apparus avoir pour effet de les occuper, ou pire, de les contrôler. Deuxièmement, ces mêmes personnes ont pu aussi exprimer leur méfiance à l’égard d’une définition trop abstraite et inconvenante des seuils de pauvreté définis sur la base d’une proportion de la médiane des revenus. Le « chapitre » québécois répond en quelque sorte à cette préoccupation en présentant l’indicateur de la mesure du panier de consommation (MPC) élaboré au Canada. Cet indicateur s’appuie, comme son nom l’indique, sur des éléments concrets de consommation (nourriture, logement, vêtement, santé, transport, etc.) pour définir des seuils de pauvreté en rapport avec des normes sociales de respect et de dignité humaine. Chacune de ces initiatives est intelligemment commentée par G. Fréchet du Québec en ce qui a trait à l’expérience wallonne et par A.-C. Guio et R. Peña-Casas de Wallonie en ce qui a trait à la mesure canadienne.
La quatrième partie aborde la question de l’évaluation. En Wallonie (Jansen et Ruyters), le plan Habitats permanents (HP) fait l’objet d’une évaluation en deux étapes, soit l’étape d’évaluation du processus (information, partenariat, etc.) dans un premier temps, puis l’étape de l’évaluation des résultats (objectifs principaux, cohésion sociale, bien-être…) dans un deuxième temps. Il est intéressant de constater l’existence puis de savoir que l’évaluation de ce plan a pu bénéficier d’un Guide méthodologique des indicateurs de cohésion sociale développé et publié par le Conseil de l’Europe (auquel la Wallonie a participé) en 2005. Ce chapitre rappelle les principaux éléments de ce guide et donne les applications qui en ont été faites pour évaluer les résultats du plan HP. Au Québec (Serge Hamel), l’analyse procède à la présentation de deux expériences locales de programmes intégrés de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, l’une dans un cadre urbain, l’autre dans un cadre régional. Elle décrit la stratégie d’évaluation puis elle fait état des résultats de l’évaluation. Parmi les résultats positifs, on compte la réalisation de projets que d’autres programmes ne pouvaient pas prendre en charge d’un part et l’établissement de diagnostics locaux d’autre part. D’un autre côté toutefois, on déplore le manque d’implications des résidents et le fait que trop d’énergies auraient été consacrées au volet social et pas assez au volet économique. On note, à cet égard, le manque d’implication des principaux acteurs économiques.
Nous conclurons par une citation du livre : « les stratégies ne sont que rarement [directement] transposables, mais elles contribuent presque toujours à élargir l’horizon de la réflexion ». C’est à ce genre d’invitation que nous sommes conviés en parcourant ce livre essentiel pour la mise à jour de nos connaissances aussi bien théoriques que pratiques en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.