In memoriam

Luc Racine (1943-2008)[Record]

  • Paul Sabourin

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C’est avec consternation que ses amis et ses collègues ont appris le 26 avril dernier le décès de Luc Racine. Il est difficile en quelques lignes de rendre un hommage approprié à son oeuvre tant Luc s’est distingué dans plusieurs domaines d’activités : poète, essayiste, musicien, militant politique à la genèse du marxisme et du mouvement de la contre-culture au Québec, membre fondateur de la revue Parti Pris et intellectuel explorant au cours de sa carrière plusieurs champs de recherche des sciences sociales. Né le 29 novembre 1943 à Montréal, Luc Racine a fait une maîtrise en anthropologie à l’Université de Montréal en 1965. L’année suivante, il a entrepris ses études doctorales sous la direction de Marcel Rioux dont il fut l’assistant de recherche de 1966 à 1972. Identifié au marxisme et à Mai 68, ce n’est pas sans appréhension, ni beaucoup de détermination face à l’administration universitaire d’alors, que ses collègues du Département de sociologie de l’Université de Montréal proposeront une première fois sa nomination comme professeur adjoint en 1972. En 1973, il dépose sa thèse à l’Université Sorbonne Paris VI et deviendra professeur en titre à l’Université de Montréal jusqu’en 2004. Mais résumer ainsi la carrière de Luc aux registres des institutions dans lesquelles il ne se plaisait pas, c’est passer à côté de l’esprit qui animait son oeuvre intellectuelle, soit de faire avancer certains débats sociaux majeurs au Québec ainsi que la sociologie et l’anthropologie de son époque. Une des clés de l’architecture de la pensée intellectuelle de Luc est à retrouver dans ses rencontres avec Lucien Goldmann lors de ses fréquentes venues dans les années soixante à l’Université de Montréal. Sa conception structuraliste de la sociologie et de l’anthropologie, son intérêt pour l’approche cognitive et épistémologique des sciences humaines, notamment le structuralisme génétique de Jean Piaget, y prendront leurs sources et seront durables. Sans aucune prétention à vouloir rendre compte ici de l’ensemble des apports de Luc aux différents domaines qu’il a abordés, je voudrais souligner ici quelques-unes de ses contributions marquantes. On retiendra, il me semble, des analyses des classes sociales faites par Luc Racine seul et avec des cosignataires, publiés dans les revues Parti Pris et Socialisme, leur caractère rigoureux, nuancé et approfondi, évitant plusieurs des pièges du marxisme d’alors. Celles-ci s’inscrivaient dans la volonté d’un certain nombre d’intellectuels marxistes d’allier théories scientifiques et pratiques sociales. Dans le cas de Luc, manifestant sa grande capacité d’assimilation d’une diversité de savoirs avec rigueur, son travail évitait de les confondre dans un mélange éclectique de philosophie sociale. C’est probablement cette remarquable faculté d’assimilation qui explique la rapide désillusion de Luc dans les années 1970 pour le cadre des débats politiques du marxisme et sa réorientation intellectuelle peu de temps après avoir intégré son poste de professeur à l’Université de Montréal. Cette réorientation visait pour lui à acquérir des savoirs et des expériences sociales sur la constitution des rapports de domination en étudiant la socialisation humaine dès l’enfance qui, impensée du marxisme et des marxistes, s’en trouve reproduite dans leurs actions politiques. Durant cette période, Luc assimile une vaste littérature en anthropologie et en éthologie sociales. Il publiera pour son agrégation une version augmentée et remaniée en profondeur de sa thèse de doctorat, Théories de l’échange et circulation des produits sociaux, lui permettant selon ses dires mêmes de mettre au jour un outil formel. En 1975, il développait une recherche sur les rapports hiérarchiques et coopératifs au cours de l’enfance dont il nous parlait avec beaucoup de verve lorsqu’il donnait le cours d’introduction à la sociologie avec Robert Sévigny. En 1978, il se joint à …

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