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Les auteurs du présent ouvrage ont non seulement le mérite d’avoir rassemblé dans un même volume des textes traitant de la littérature migrante dans différents contextes nationaux, mais ils montrent par ailleurs de manière pertinente le rôle que peut jouer cette littérature dans l’enseignement du français grâce à la place privilégiée de la littérature dans le champ culturel. Selon eux, il ne s’agit pas de se servir de la littérature pour transmettre une littérature – et par là même une culture – majoritaire et dominante, mais, au contraire, d’arriver à travers l’enseignement de textes d’auteurs issus de la migration à développer un esprit critique chez les élèves, une conscience de la pluralité et de la diversité de la culture dans laquelle ils vivent, de l’altérité. « Nous croyons que le modèle canonique de la transmission de l’héritage culturel d’une nation, si noble soit-il, doit être relativisé par le modèle de l’analyse de cultures autres, plus spécialement celles de l’immigration. Par la littérature migrante, l’élève développera des connaissances, tant littéraires que sociales au sens large, sur la diversité culturelle de la société québécoise, française, belge ou suisse francophone ; il accroîtra, par conséquent, sa familiarité avec les cultures minoritaires et le respect envers celles-ci » (p. 16). Les auteurs présument que pareil curriculum prévient la formation de stéréotypes basés sur l’ethnicité.
Quant aux pistes méthodologiques proposées, l’idée d’inciter les élèves à tenir un journal personnel d’impressions de lecture de leurs réactions face aux textes lus semble très prometteuse. Cela vaut bien plus encore pour une autre démarche proposée : partant du principe que toute littérature est susceptible de véhiculer une critique sociale, il conviendrait d’inciter les élèves à déterminer les mythes (fondateurs) inscrits dans les textes et qui souvent prônent l’originalité, voire la valeur prédominante d’une culture. Il me semble pourtant que l’analyse critique des élèves doit aussi comprendre la littérature migrante, car le mythe d’une unicité culturelle et originale, le repli identitaire derrière un particularisme, n’est pas le seul apanage de la culture majoritaire ou dominante. Force est de constater que la littérature migrante n’est pas à l’abri de création de nouveaux mythes fondateurs. Ce n’est pas parce qu’il est minoritaire que l’écrivain issu de l’immigration évite le piège de l’identitaire. Au contraire. La preuve en est le caractère largement autobiographique de cette « littérature mémorielle », […] « tentative de l’appropriation d’une cohérence narrative par le retour sur soi » (p. 15). Les auteurs évoquent à juste titre que l’idée de l’universalisme des valeurs est entrée dans l’ère du soupçon et que le caractère unitaire de la culture est contesté. Mais croire que le communautarisme en littérature est a priori un garant de qualité (esthétique et autre) me semble contestable, car cela reviendrait à rejoindre une conception de la culture que les auteurs qualifient eux-mêmes, et à juste titre, de « conception romantique » (p. 13). Il n’en reste pas moins que la domination du canon classique, le statut encore minoritaire de la littérature migrante dans l’enseignement du français et l’ignorance de beaucoup de professeurs de français sont regrettables. C’est pour eux que le livre de Monique Lebrun, Luc Collès et de Marie-Cécile Robinet est un vrai trésor. Il constitue une bonne introduction au sujet et il rassemble différents articles qui donnent des aperçus thématiques autour d’un genre, tel le chapitre sur « La poésie migrante au Québec » de Monique Lebrun ou le « Panorama de la littérature migrante en Suisse » de Marie-Cécile Robinet. Alors que certains chapitres présentent plutôt une étude générale comme le chapitre sur « la littérature migrante en France et en Belgique francophone » de Luc Collès, d’autres se consacrent plus particulièrement à un auteur tels Azouz Begag et Leïla Houari. S’adressant à un public essentiellement de lecteurs et d’enseignants en lycées et collèges, les auteurs expliquent des notions-clés à partir de textes exemplaires et représentatifs, telles les notions d’« hybridité et de métissage » et le poème « Speak what » de Marco Micone (1989) pour ne donner que ces exemples. Présentation littéraire, analyse de textes et conseils didactiques forment un ensemble cohérent et constructif. Le tout est complété par une liste de sites Web qui fournissent au lecteur et à l’enseignant quelques pistes de recherche sur les principaux auteurs migrants cités.
En dehors de cet aspect pratique, c’est le fait d’avoir rassemblé dans un même ouvrage des vues d’ensemble sur la littérature migrante francophone dans les différents pays (Belgique, France, Québec, Suisse) qui fait tout l’intérêt de ce livre. Cela permet au lecteur de comparer les situations, d’avoir une vision d’ensemble, des regards croisés.