Au moment d’ouvrir les forums publics de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles, Gérard Bouchard avouait sa perplexité devant la critique soutenue du multiculturalisme à la fois dans les milieux politiques et dans les classes moyennes et populaires. Le multiculturalisme allant de soi, nul n’aurait l’audace de penser à l’abri du pluralisme à moins de risquer sa réputation dans l’espace public (Robitaille, 2007). Quelques mois plus tard, au terme des travaux de la commission, dans les semaines qui ont suivi le dépôt de son rapport, Bouchard n’était toujours pas revenu de son étonnement devant la remise en question de la « diversité » en laissant entendre que « le Québec sort à peine d’une période de turbulence, et [qu’il serait] peut-être venu très près d’un véritable dérapage » (Bouchard, 2008). Chose certaine, tout ce qu’on pouvait dire – de mal – de la crise des accommodements raisonnables a été dit. Traumatisme idéologique pour une partie de l’intelligentsia qui s’interroge sur la crise ayant consacré l’implosion du fantasme de la conversion harmonieuse du Québec au multiculturalisme (Bock-Côté, 2007). Car il n’est plus possible de poser la question du « pluralisme identitaire » sans prendre au sérieux le fait que les sociétés s’y convertissent moins qu’on ne les convertit de force – c’est-à-dire en mobilisant de manière maximale la puissance publique pour déprendre l’identité collective de ses schèmes traditionnels et des structures sociales qui les soutiennent. À gauche, on nomme ces opérations lutte au racisme et éducation à différence. Lutte au racisme, car ce dernier traverserait la société de part en part et contiendrait donc, pour l’instant, l’avènement d’une citoyenneté multiculturelle. Éducation à la différence, parce qu’il faudrait transformer des mentalités encore héritières des formes culturelles traditionnelles. Les problèmes soulevés par le multiculturalisme raniment aussi la vieille question des classes sociales, les couches supérieures de la population faisant de leur adhésion au métissage mondialisé une marque de reconnaissance identitaire alors que les classes moyennes et populaires semblent encore se reconnaître dans les paramètres du vieil État-nation occidental. Il faut pourtant aller plus loin dans le multiculturalisme et ce livre est là pour nous dire comment faire. Il aurait aussi pu avoir pour titre : le multiculturalisme après la crise des accommodements raisonnables. Comme c’est le cas la plupart du temps avec les travaux des « sciences sociales » portant sur le pluralisme identitaire, il ne faut pas le lire comme une collection d’études philosophiques, sociologiques ou juridiques sur la question de la « diversité » mais bien comme une collection de textes militants visant à reconstruire une philosophie politique fragilisée par son implantation difficile. La méthode suivie est dans le titre : on fera appel à la notion de culture publique commune pour critiquer systématiquement l’expérience historique québécoise et l’identité nationale qu’elle a générée. On le sait, la notion de culture publique commune est due à Gary Caldwell. Elle lui a depuis longtemps échappé. D’ailleurs, la plupart des auteurs semblent en ignorer l’origine et la signification dans l’histoire récente de la pensée politique québécoise, sauf Micheline Labelle qui, dans un article servant de point de départ à l’ouvrage, la réinscrit dans l’historique des politiques d’un gouvernement québécois qui a travaillé depuis un bon moment à reconstruire l’identité collective dans les termes de la « diversité », d’abord à partir de la notion de culture de convergence, ensuite à partir de celle de culture publique commune, enfin, à partir de celle de « citoyenneté », point d’aboutissement dans la reconfiguration de la communauté politique québécoise en dehors des paramètres historiques délimitant …
Appendices
Bibliographie
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