Comptes rendus

Gerald Tulchinsky, Canada’s Jews. A People’s Journey, Toronto, University of Toronto Press, 2008, 630 p.[Record]

  • Pierre Anctil

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Il convient d’accueillir chaleureusement la publication de cet ouvrage longtemps attendu et qui constitue un survol complet de l’histoire juive canadienne sur trois siècles. Après avoir fait paraître Taking Root : The Origins of the Canadian Jewish Community en 1992 (Toronto, Lester Publishing) et Branching Out : The Transformation of the Canadian Jewish Community en 1998 (Toronto, Stoddard), l’auteur s’était affairé depuis quelques années à compléter en un seul volume l’ensemble de ses recherches sur ce thème. La tâche était redoutable, d’abord parce que l’historiographie juive n’est pas très imposante au Canada et qu’elle charrie dans certains cas des conclusions difficilement défendables en regard des recherches plus récentes, mais aussi parce que le thème lui-même exige énormément de tact et fait appel à des connaissances très diverses. Il ne suffit pas en effet de déclarer que les Juifs canadiens méritent une étude approfondie, ce qui en soi est indéniable, pour que la question s’éclaircisse d’elle-même. La judéité recoupe en effet tellement d’acceptions différentes sur le plan religieux, linguistique et culturel, même au Canada, que le chercheur se trouve confronté en cours de route à des communautés d’intérêts et à des identités qui divergent à plus d’un titre. Qu’ont en commun les Sépharades arrivés à la période française, les Juifs d’origine britannique installés au XIXe siècle, les Ashkénazes yiddishophones de la première moitié du XXe siècle et les Nord-Africains du tournant des années soixante, sans oublier les Israéliens, les Juifs argentins, les Juifs soviétiques et les Juifs français plus récemment arrivés ? Comment aborder d’un seul élan les Hassidim, les adeptes du conservatisme nord-américain et les tenants du libéralisme d’origine allemande ? Comment faire comprendre au lecteur que des pratiquants orthodoxes, des socialistes agnostiques, des militants communistes, des sionistes religieux et des capitalistes aient partagé les mêmes institutions et se soient sentis Juifs à un titre ou à un autre ? À cette complexité identitaire s’ajoute la difficulté de traiter des sources documentaires, qui sont rédigées en bonne partie en yiddish pour la période qui précède la Seconde Guerre mondiale, et dans les deux langues officielles pour ce qui concerne les rapports de la communauté avec les univers canadiens, québécois et montréalais. Tulchinsky est allé aussi loin qu’il est possible pour rendre accessibles de larges pans de l’histoire juive canadienne. Certes, le livre compte plus de 600 pages et s’avère assez imposant pour quelqu’un qui aborde le sujet pour la première fois, mais il couvre tous les éléments marquants et balise chronologiquement une période de près de 250 ans. Il y a tout lieu de prévoir que ce livre va devenir une référence obligée dans l’enseignement de l’histoire juive canadienne et un ouvrage de référence très consulté par les spécialistes. L’auteur, qui a publié des ouvrages importants sur l’histoire de l’élite anglo-protestante de Montréal au milieu du XIXe siècle, dont The River Barons : Montreal Businessmen and the Growth of Industry and Transportation (1837-53), maîtrise particulièrement bien les aspects qui touchent la première communauté juive à s’installer au pays, et qui comptait en son sein essentiellement des gens d’affaires rompus aux us et coutumes du monde britannique. Il est plus qu’intéressant de noter sous ce rapport que, formant une très petite minorité à peine identifiable, et malgré l’érection de deux synagogues à Montréal en 1777 et en 1846, les Juifs sont restés au cours de cette période plutôt à l’abri des préjugés et des attaques racistes. Plusieurs des caractéristiques fondamentales du monde juif canadien sont d’ailleurs apparues au XIXe siècle, dont l’attrait pour les grandes villes, le penchant envers la philanthropie et les réformes sociales, l’attachement …