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Denise Brassard a reçu le prix Raymond-Klibansky pour son ouvrage sur la poésie et l’essai dans l’oeuvre de Fernand Ouellette. Selon l’auteure, il existe un lien étroit chez le poète entre les deux pratiques d’écriture. Bien que la poésie représente le genre de l’Absolu, l’essai se révèle nécessaire à la « réalisation de l’utopie poétique ».

Quelques caractéristiques marquent de façon décisive la poétique ouellettienne. La première, sur laquelle est fondée la thèse de Brassard, constitue le maintien d’une tension ou d’une « oscillation » entre des pôles opposés qui rappellent le déchirement du sujet poétique. L’opposition entre poésie et essai est l’une des manifestations possibles du mouvement dialectique qui anime l’ensemble de l’oeuvre. Cependant, dans cette opposition se profilent d’autres couples tels la métaphore et le concept, le contingent et la transcendance, la Fulgurance et l’Errance, l’Autre et le Même. Or, si l’élan premier du poète l’engage dans la voie de l’Absolu, l’attrait pour la conceptualisation s’affirmera toujours dans l’oeuvre, même dans la poésie quand elle devient autoréflexive ou lorsqu’elle accuse une dimension prosaïque. Cette polarisation trouverait en partie son explication dans le dualisme qui a exercé une influence considérable sur les écrivains de la génération de Ouellette, et qui a fréquemment déterminé leur poétique. Cependant, elle tire aussi son origine des influences de Ouellette, que Brassard étudie de près. Le poète se pose en héritier d’une grande famille d’intellectuels et d’écrivains. À ce titre, il faut situer sa poésie directement dans le sillage du romantisme allemand. Il faut également citer comme déterminantes dans l’élaboration de sa poétique les philosophies hégélienne et kierkegaardienne.

L’oeuvre de Ouellette est constitué d’une grande variété de pratiques littéraires : la poésie et l’essai, mais aussi la biographie (Edgar Varèse), la critique littéraire (Depuis Novalis), l’autoportrait, la critique d’art, le roman et également le commentaire et la réécriture de ses propres oeuvres. Ce qui crée cependant une forme de cohérence dans cette diversité, c’est le motif de la quête identitaire qui traverse toute l’oeuvre. Par l’usage des procédés de l’identification et de la projection, Ouellette parle de lui-même et définit sa propre poétique dans ses pratiques de la biographie, du roman et du commentaire critique.

L’ouvrage de Brassard est divisé en trois parties correspondant chacune à une période de l’oeuvre de Ouellette. Dans la première, celle de la « Fulgurance » (1955-1973), le poète est animé par un idéal poétique conforme à l’idéal romantique. Il s’agit pour lui de recréer l’instant de l’illumination et de l’installer dans la durée du poème. Cependant, à cette étape de l’oeuvre, le poète est polarisé par la poursuite de sa quête identitaire. Sa démarche, qui relève de l’ontique, s’inscrit donc dans une recherche d’unicité – d’où le maintien d’une tension. Au cours de la deuxième période (1974-1986), un renversement s’opère. L’« Errance » est ici associée à l’écriture de l’essai. Le poète exprime maintenant le besoin d’habiter le monde et de s’engager dans la cité. Il ne cherche plus à reproduire l’instant de l’illumination, il erre, bien ancré dans le terrestre et il va à la rencontre de l’autre. En revanche, sa quête relève de l’ontologie car le poète croit toujours en l’unité de l’être. La troisième période (1987-2006) semble constituer une sorte de synthèse. Le « poète essayiste » fait preuve d’humilité. Il est conscient de l’impuissance du langage à rendre compte de la révélation poétique, tout comme à traduire l’expérience mystique. À cette étape l’oeuvre poétique se prosaïse et c’est dans cette prosaïsation que le poème atteint sa réalisation. « Le masque de l’augure », sous-titre de la troisième partie, renvoie à la nécessité de substituer le regard de l’autre au sien propre. Le lieu d’où parle le poète (ou l’augure) est un espace circulaire qui prendra finalement la forme de la spirale en mariant la pensée linéaire (le logos) à la pensée circulaire (le religieux). Il semblerait que la tension maintenue dans l’ensemble de l’oeuvre trouve sa résolution dans ce mariage.

Le souffle du passage témoigne d’une connaissance profonde et sensible de l’oeuvre de Fernand Ouellette ainsi que d’une grande maîtrise des philosophies convoquées dans les analyses de l’héritage ouellettien. Il s’agit d’un ouvrage dense, subtil et complexe qui retrace le parcours de l’ensemble de l’oeuvre d’un important poète québécois.