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L’ouvrage vise à faire connaître la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, mieux connue comme commission Bouchard-Taylor, sous des angles et à travers des aspects qui, selon les auteurs, ne paraîtraient vraisemblablement pas dans le rapport officiel des commissaires. Signé par deux journalistes qui ont assisté à tous les travaux de la commission tout en en notant soigneusement ses différentes étapes, Jeff Heinrich, de The Gazette, et Valérie Dufour, du Journal de Montréal, l’ouvrage promet d’éclairer les coulisses d’un processus qui a suscité des réactions comme on n’en avait plus vu depuis les débats sur la souveraineté ou la loi sur la langue. Les intentions ironiques des auteurs sont indiquées sans équivoque par le paratexte : le titre est appuyé non seulement par l’illustration caricaturale de la couverture, mais aussi par l’épigraphe qui affirme avec H.L. Mencken que « la démocratie, c’est l’art de diriger le cirque à partir de la cage des singes ». L’introduction souligne par ailleurs que la métaphore du cirque s’est imposée d’elle-même aux auteurs. Or, si l’on veut bien de leur explication concernant une consultation publique à l’image d’une « foire ambulante », voire d’une « caravane de spectacles », celle d’« un lieu où se rencontrent sous un chapiteau les fous du village » me paraît nettement plus contestable.

Outre l’Introduction (« Roulement de tambour »), la Conclusion (« Le chapiteau démonté ») et l’Annexe (« Chronologie accommodante »), l’ouvrage se divise en dix chapitres allant de douze pages jusqu’à vingt-deux, chacun intitulé afin d’identifier les personnages et objets incontournables du cirque éponyme. Le premier chapitre présente les « Maîtres de cérémonie : messieurs Bouchard et Taylor ». À eux-mêmes, ils s’accordent le deuxième chapitre et un rôle qu’on trouve dans « tout cirque qui se respecte » : « Illusionnistes : les médias de ‘désinformation' ». Suivent des titres d’un goût discutable, dont, pour n’en citer que deux : « Les lanceurs de couteaux : ‘Je ne suis pas raciste mais…' » et « La femme à barbe : des kirpans et des kippas ».

Le terme « désinformation » du titre du deuxième chapitre en dit long sur la raison d’être de l’ouvrage : de la part des commissaires à l’égard des journalistes aussi bien que de la part de ceux-ci à l’égard des premiers, il y a eu méfiance concernant les « réalités » ou « vérités » à communiquer afin de représenter efficacement la consultation. Conscients que la perception publique du processus était irrémédiablement informée par l’image qu’en donnaient les médias, les commissaires ont déployé des efforts pour garder la maîtrise de la chose, mais il était inévitable que leurs gestes et paroles prennent un autre sens aux yeux des médias. Lors des entrevues accordées avant d’entreprendre la consultation, par exemple, les commissaires ont cru caractériser en général la société qu’ils se préparaient à connaître dans sa spécificité, mais leurs critiques les ont accusés d’avoir tiré des conclusions à l’avance à ce propos. Aussi la commission a-t-elle décidé de ne plus s’adresser à la presse avant de déposer son rapport final. Pour les journalistes, cependant, sans leur participation active au processus, personne ne forcerait la commission dans ses retranchements. De même, les commissaires ont voulu assurer le public qu’ils tenaient compte de tous les mémoires et témoignages dont on leur faisait part, non uniquement de ceux dont faisaient mention les journaux, mais Heinrich et Dufour ont cru y voir une critique « insidieuse » de ceux qui « n’avaient pas fait leur travail correctement ».

Cela donne un ouvrage qui permet de régler quelques comptes, notamment avec « le processus lui-même », c’est-à-dire avec les commissaires, qu’ils aient ou non reçu des directives des membres de leur « comité de sages » ou du gouvernement. Tout au long du livre, les auteurs rapportent mot pour mot maints échanges entre les commissaires et leurs divers interlocuteurs, presque toujours en commentant la performance et l’attitude des uns et des autres, ce qui donne une série de remarques à l’emporte-pièce tels que « Et vlan dans les dents ! », « Quel humour, ces intellos ! » ou « On est loin des Beatles et des Stones… Mais ce jeune rocker conservateur […] Un triomphe ! Il sera assurément invité à Tout le monde en parle… ». Bouchard, vif et doté du sens de la répartie et des jeux de mots, aurait éveillé les rires aux audiences publiques, fût-ce au prix de quelques commentaires d’ordre « machiste » dont certaines n’ont pas du tout ri. Taylor, plus réservé, aurait réagi aux témoignages tantôt par des commentaires peu badins, peu imaginatifs, voire répétitifs, tantôt par des propos peu clairs ou bien qui « faisaient étalage de sa culture et de son érudition ». S’il est arrivé aux commissaires d’avoir un comportement pareil, c’était en se montrant peu disposés à entendre les propos des « féministes » pour qui le hidjab est un symbole religieux de la répression de la femme, mais trop prêts à accueillir des propos injurieux, et ce, tout en prétendant que le Québec n’est ni « raciste » ni « xénophobe ». De plus, ils n’auraient pas toujours réagi de la même manière à un même genre de propos. Quant aux Québécois et Québécoises représentés par les neuf cent un mémoires, les auteurs ont forcément privilégié les plus excentriques, burlesques ou farfelus. Toutefois, ils ont aussi cité ceux qui se sont contentés d’exprimer leurs convictions d’une façon souvent ardente, mais toujours sincère.

Au bout du compte, Heinrich et Dufour reconnaissent que la commission, même en forme de cirque, a fait connaître moins un village de « fous », qu’un « véritable banquet linguistique, identitaire et surtout religieux ». Au total, le livre ne constitue vraiment pas un ouvrage scientifique, mais il contient des observations et anecdotes aptes à illustrer ou alimenter plus d’une hypothèse au sujet de la société québécoise actuelle.