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Dans une seconde publication sous sa signature, Denis Laroche poursuit l’analyse des données de l’Enquête sociale générale (ESG) de 2004 et vise la mise à jour des résultats d’une étude similaire produite avec les données de l’ESG de 1999 (La violence conjugale envers les hommes et les femmes au Québec et au Canada, 1999), laquelle a notamment pour but d’établir l’importance des divers types de situations de violence conjugale, définie dans une typologie proposée par Michael R. Johnson en 1995 et opérationnalisée dans une étude empirique réalisée à l’aide des données du National Violence Against Women Survey, mais en y ajoutant la dimension de la gravité de la violence rapportée par les victimes.

La publication s’organise autour de sept chapitres. La méthodologie est explicitée au chapitre premier, avec la présentation des concepts et la définition de la violence conjugale, échelles de tactiques de conflit (CTS) et sa mesure. Puis le second chapitre aborde la prévalence de la violence selon l’EGS de 2004. Le contexte de la violence est discuté au chapitre trois suivant la typologie de Johnson, alors que les conséquences sont abordées au chapitre quatre. Les chapitres suivants visent une métathéorisation par la remise en question des paradigmes qui fondent traditionnellement les études sur la violence conjugale. Ainsi, au chapitre cinq, les aspects de la typologie de Johnson sont remis en question. Puis au chapitre six, la mesure de la psychopathologie et de la généralité de la violence dans les enquêtes est discutée. Le document se termine sur la typologie des situations de violence basée sur les énoncés de CTS, au chapitre sept.

Ce document est riche d’information, de statistique et analyse. Sommairement, on peut dire que les résultats de l’ESG de 2004 indiquent que les taux de prévalence de la violence conjugale observés au cours des cinq années précédant l’enquête de 2004 sont semblables chez les hommes et les femmes au Canada. L’analyse des données de l’ESG de 1999 s’était traduite par un constat similaire. Les données de l’ESG de 2004 permettent aussi de constater une importante réduction de la prévalence (32) et du taux de prévalence de la violence conjugale (41) chez les femmes au cours de la décennie écoulée entre 1993 et 2004. Dans le cas de la violence grave, les baisses correspondantes sont respectivement de 44 et de 53. Les données de l’ESG de 2004 indiquent que les taux de prévalence diminuent fortement avec l’âge, à compter du sommet atteint chez les moins de 25 ans.

L’étude montre que la désistance à la violence conjugale avec l’âge est le fait largement prédominant, tant chez les hommes que chez les femmes. Le constat de la diminution des taux de prévalence avec l’âge est cohérent avec les résultats observés dans de nombreuses enquêtes transversales ou longitudinales. Ce constat s’inscrit à l’encontre des présupposés selon lesquels la violence constitue typiquement un phénomène récurrent caractérisé par une dynamique d’escalade de la violence, c’est-à-dire d’une amplification de la gravité de la violence et de la fréquence des événements avec le temps. Il semble plutôt que ce profil corresponde à une minorité des cas. Ainsi, le changement des taux de prévalence avec l’âge évolue de façon parallèle chez les hommes et les femmes, ce qui laisse à penser que les facteurs sous-jacents à la violence chez les hommes et les femmes peuvent être similaires et que ces facteurs évoluent de manière semblable avec l’âge, tant chez les hommes que chez les femmes. Enfin, il faut noter que les données de l’ESG de 2004, comme celles de l’ESG de 1999, indiquent que la prévalence de diverses formes de conséquences physiques ou cliniques de la violence conjugale est plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Les conséquences physiques ou cliniques de la violence conjugale sont étroitement associées à la gravité et au nombre d’événements de violence conjugale, tant chez les hommes que chez les femmes.

Les résultats montrent les divers types de situations de violence conjugale, soit la violence situationnelle et le terrorisme conjugal, avec l’ajout de la dimension de la gravité de la violence, ce qui permet de distinguer quatre types de situations : la violence situationnelle mineure, la violence situationnelle grave, le terrorisme conjugal mineur et le terrorisme conjugal grave. Ces quatre types de situations de violence se distinguent qualitativement les uns des autres, à la fois par la variété des énoncés de violence et des énoncés des conduites contrôlantes auxquels ont souscrit les victimes de violence. Ces types de situations se distinguent quant aux conséquences physiques et cliniques de la violence conjugale rapportées par les victimes.

Quant aux conséquences de la violence conjugale, en 2004 comme en 1999, les victimes qui font état de diverses conséquences physiques ou cliniques par suite des agressions subies paraissent avoir été confrontées en grande majorité à une situation de terrorisme conjugal grave, tant chez les hommes que chez les femmes. La concentration des victimes faisant état de conséquences physiques ou cliniques au sein du groupe des victimes de terrorisme conjugal grave est comparable chez les hommes et les femmes. Ce constat se vérifie pour l’ensemble des victimes du conjoint actuel ou d’un ex-conjoint; il se manifeste de manière encore plus prononcée chez les victimes d’un ex-conjoint. La classification des victimes en fonction des quatre catégories de situations de violence laisse également voir un écart notable entre le nombre de femmes victimes de terrorisme conjugal grave et celui des hommes aux prises avec une situation de même nature. Les taux de prévalence des diverses conséquences physiques ou cliniques de la violence subie dans un contexte de terrorisme conjugal grave reflètent également cette asymétrie. Enfin, elle se manifeste dans l’écart substantiel entre les hommes et les femmes quant à la proportion de victimes de terrorisme conjugal grave qui ont éprouvé l’une ou l’autre des conséquences physiques ou cliniques de la violence conjugale.

Les données de l’ESG de 2004 et celles de l’ESG de 1999 montrent qu’en ce qui a trait à chacune des formes de conséquences physiques ou cliniques de la violence conjugale subie dans un contexte de terrorisme conjugal grave, les cas rapportés par les victimes d’un ex-conjoint en 2004 et en 1999 au Canada constituent très souvent la quasi-totalité des conséquences rapportées par les victimes du conjoint actuel ou d’un ex-conjoint par suite de terrorisme conjugal grave. Enfin, ces résultats montrent que la dissolution de l’union se traduit, chez une forte majorité des hommes et des femmes, par la désistance à la violence d’une durée de 12 mois et plus de la part des ex-conjoints violents. En d’autres termes, dans la majorité des cas de terrorisme conjugal grave recensés lors de l’ESG de 2004 et de l’ESG de 1999, la violence s’était interrompue au moins un an avant la tenue de l’enquête.

L’étude indique clairement que la violence conjugale ne constitue pas un phénomène homogène et qu’elle se compose de divers types de violence qualitativement distincts. Soulignons entre autres que l’étude corrobore l’idée que le terrorisme conjugal n’est pas le fait exclusif des agresseurs de sexe masculin. Les données de l’ESG de 2004 et de l’ESG de 1999 indiquent que les hommes comptent pour environ 40 des cas de terrorisme conjugal grave qui sont rapportés par les hommes et les femmes.

Les résultats de l’ESG de 2004 et de l’ESG de 1999 ne soutiennent pas la prémisse avancée par Johnson en 1995 selon laquelle les enquêtes présentent un biais d’échantillonnage découlant d’un taux élevé de non-réponse, qui aurait pour effet d’exclure une proportion significative, sinon une forte majorité, des femmes victimes de terrorisme conjugal. Les données de l’ESG de 2004 montrent qu’il est possible d’estimer, avec un degré élevé de précision, des populations cliniques comme le nombre de cas signalés à la police ou le nombre d’admissions dans les centres d’hébergement pour femmes victimes de violence.

L’auteur recommande de tenir compte de l’hétérogénéité des situations de violence, des types d’agresseurs et des types de victimes. De plus, il semble soutenir l’idée que la manière de nommer la réalité a des conséquences importantes sur la mesure de cette dernière. Ainsi, ce qui est ici nommé « terrorisme conjugal » pour désigner les situations où les conjoints sont violents et contrôlants, devrait être réservé aux individus qui présentent en grande majorité des symptômes marqués de psychopathologie et de trouble de la personnalité ; alors que l’expression « abus systématique » pourrait s’avérer plus adéquate pour désigner les situations de violence à haut risque de se traduire par des conséquences cliniques nécessitant une intervention soutenue de services ou d’organismes d’aide. Incidemment, en Europe, divers chercheurs ont adopté une expression différente pour désigner des situations correspondant au terrorisme conjugal : « comportement violent et dominateur systématique » ; « violence et contrôle systématique ».