Notes critiques

Libéralisme et reconnaissance de la nation : L’impossible fondation ?Michel Seymour, De la tolérance à la reconnaissance, Montréal, Boréal, 2008, 704 p.[Record]

  • Stéphane Vibert

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  • Stéphane Vibert
    Département de sociologie et d’anthropologie,
    Université d’Ottawa.

Ainsi que de nombreux auteurs ont pu le remarquer et y insister à juste titre, les questions de la nation et du nationalisme ont longtemps été délaissées, voire ignorées, par le champ de la réflexion politique, que celui-ci soit d’inspiration philosophique ou socio-anthropologique. Au sein des sciences sociales, la filiation classique des traditions sociologiques (durkheimienne, wébérienne, fonctionnaliste ou culturaliste) ne s’est guère appropriée cette thématique (à l’exception notable du texte remarquable mais inachevé de Mauss au lendemain de la Première Guerre mondiale), alors qu’en philosophie politique, notamment dans le monde anglo-saxon, c’est bien plutôt la réflexion nécessaire sur l’articulation des droits et libertés individuels à l’intérieur d’une société bien ordonnée qui dominait les débats, principalement jusque dans les années 1980. Malgré les études pionnières dans le domaine du nation-building conduites par un Reinhard Bendix ou un Karl Deutsch, ainsi que les explorations philosophiques stimulantes menées par Isaiah Berlin à Oxford – d’ailleurs susceptibles de moult interprétations, puisque Berlin a lui-même effectué une autocritique assez poussée de sa condamnation initiale du nationalisme comme relativisme – il en découla une indiscutable anémie, encouragée par des facteurs à la fois idéologiques (prédominance du libéralisme et du marxisme dans les universités), internationaux (contexte de la guerre froide) ou intellectuels (hégémonie d’une vision quasi scientiste du social favorisant une réduction du « politique » à une couche superstructurelle, laquelle n’aurait pour autre fonction que de masquer les processus et intérêts « réels » de la vie collective). Ce n’est que dans les années 1980-1990, à la faveur des débats sur la nature et le destin du totalitarisme soviétique (puis de la résurgence des nationalismes qui naquit sur ses décombres), sur la persistance et la renaissance de mouvements régionalistes et (ou) nationalistes en Occident, sur les transformations induites dans la pratique démocratique par la présence de populations d’origine étrangère de plus en plus nombreuses, ou encore sur le caractère instable des États-nations juvéniles issus de la décolonisation, que des réflexions philosophiques et socio-anthropologiques diverses et variées sur le « fait national » voient le jour, notamment à travers un rapport problématique aux deux grandes dynamiques qui vont s’avérer centrales pour la compréhension du contemporain : la mondialisation et le multiculturalisme. La « crise des États-nations » devint une sorte de « passage obligé » pour tout texte s’interrogeant sur l’essence et l’expression du politique, suscitant des milliers d’articles ou d’ouvrages dont l’immense majorité, peu ou prou, tendait à démontrer l’inexorable déliquescence d’une morphologie sociale – la nation – d’émergence finalement assez récente au regard du temps long de l’histoire (à peine quatre ou cinq siècles). La puissance des dynamiques de dépassement par le haut (les flux mondialisés, la multiplication des échanges, l’apparition d’une conscience globale, l’altermondialisme, l’écologie, le renouveau du cosmopolitisme, le renforcement des organisations et des institutions supranationales) et d’effritement par le bas (la diversité culturelle, le pluralisme des communautés, la radicalisation de l’individualisme contre les appartenances contraignantes, le différentialisme religieux, la quête de l’authenticité, le retour au local, les diasporas et migrations massives) entraînerait à terme, sinon la disparition, du moins la relativisation de l’État-nation et de sa dimension inhérente de souveraineté. Dès lors, à l’étude descriptive (le rôle, le statut, l’histoire et l’universalisation de l’État-nation comme incarnation idéale de la communauté politique moderne) se superpose quasi nécessairement un positionnement normatif (quant au maintien de cette figure conceptuelle et empirique de l’État-nation, et sous quel aspect, si l’on considère son intégration dans des processus globaux et son ouverture à la diversité interne), complexité redoublée par l’impératif de penser la désintrication des deux termes, sous la forme de la nation sans l’État et de l’État …

Appendices