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La recherche dont cet ouvrage est issu conçoit son objet d’étude comme l’espace configuré par la relation entre, d’un côté, les politiques canadiennes et québécoises en matière de sécurité, d’immigration et d’aménagement de la diversité et des revendications, et de l’autre, les positions des associations arabo-musulmanes et des ONG de défense des droits des immigrants. La tension entre sécurité et liberté est l’épicentre d’une discussion théorique et normative qui constitue l’arrière-plan de ce double regard sur l’État et les associations de la société civile, dans un contexte de renforcement des politiques sécuritaires depuis le 11 septembre 2001.

Le premier chapitre présente les associations étudiées, en caractérisant la complexité des identités arabe et musulmane. Ainsi les auteurs mettent-ils l’accent sur le contexte prémigratoire – cet espace où les identités confessionnelles et communautaires seraient configurées – comme facteur déterminant des dynamiques associatives et des revendications des associations étudiées. La politique étrangère vis-à-vis du pays d’origine et les politiques d’intégration et d’insertion du Canada constituent les deux principaux enjeux qui mobilisent leurs actions. L’inclusion de ce type d’éléments dans l’analyse donne pourtant l’impression d’une surdétermination des facteurs liés au contexte d’origine – et, pourrait-on ajouter sur un plan plus vaste, des facteurs « culturels » – en rendant difficile la mise en relation des associations avec les institutions étatiques et les politiques publiques. Cette proposition nous semble accentuer le caractère immigré des associations arabo-musulmanes, de leurs membres, et sa prédominance sur le lien citoyen local.

Les deux autres chapitres analysent les politiques adoptées par les gouvernements (fédéral et provincial), en matière de sécurité et d’immigration, puis de multiculturalisme, d’interculturalisme et de lutte contre le racisme, pointant parallèlement les différentes positions des associations arabo-musulmanes et des ONG sur ces politiques publiques. Leur évolution, bien que principalement soutenue par un rapport « utilitariste » aux migrations (attirer des travailleurs qualifiés et des gens d’affaires pour le développement économique), et marginalement par des préoccupations humanitaires, se serait déplacée d’une conception de la diversité comme valeur canadienne en soi, à une représentation de l’immigration comme un « mal nécessaire » comportant certaines responsabilités et menaces, notamment en lien avec la sécurité à la frontière, internationale et publique (pour le gouvernement fédéral), et avec la cohésion sociale et l’identité nationale (pour le gouvernement provincial). Les associations arabo-musulmanes et les ONG, quant à elles, perçoivent l’impact de ces transformations d’ordre législatif, mais aussi administratif et budgétaire, au quotidien. L’allongement de la durée du traitement des dossiers de réfugiés en est une illustration. Pour ces acteurs associatifs, ces modifications altèrent les libertés fondamentales, même si ces revendications demeurent limitées au regard de l’ensemble de l’activité des associations. En fait, pour les auteurs, la recrudescence de mesures sécuritaires et les abus de pouvoir qui leur sont liés, s’avèrent imperméables à l’action des associations, ce qui au final rend difficile leur projet de lier analyse des politiques canadiennes en matière de sécurité et liberté et engagements associatifs autour de ces enjeux normatifs.

Quel est l’apport d’un travail simultané sur les politiques publiques et les revendications de la société civile qu’une analyse portant séparément sur chacun des deux types d’acteurs ne permettrait pas de révéler ? Voilà, à nos yeux, le principal enjeu de cet ouvrage. L’étude de l’interface entre ces deux éléments de la réalité politique canadienne et québécoise présume une relation de mutuelle influence qui n’est pas suffisamment saisie par cette recherche. Cela s’ajoute aux problèmes spécifiquement liés à l’étude des politiques et des associations à partir des documents publics et des entrevues avec des fonctionnaires et des représentants des associations, qui par ailleurs permet de constater un décalage entre la déclaration de principe et la pratique. Le texte fournit des éléments importants de cadrage pour une caractérisation de cette relation : il montre qu’il n’y a pas de différences majeures (au-delà des différences de compétences) entre les niveaux fédéral et provincial de décision, ni au niveau des orientations des politiques publiques, ni sur le plan des critiques qui leur sont adressées par les associations.

Plus que les idéologies sur la diversité, ce sont les politiques concrètes de sélection et d’intégration économique des immigrants, auxquelles les politiques sécuritaires sont associées, qui constituent la principale préoccupation des associations. Finalement, la spécificité des associations arabo-musulmanes est traitée à partir des processus de formation de stéréotypes qui ne sont pas produits par les politiques mais qui les mobilisent dans leur application – le profilage racial et le racisme systémique –, préoccupation qui traverse les différents types d’associations arabo-musulmanes étudiées, au-delà de leur constitution ethnique ou de leur identification religieuse.