Notes critiques

La refondation nationale, nouveau paradigme interprétatif en histoireAnne Trépanier (dir.), La rénovation de l’héritage démocratique. Entre fondation et refondation, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2008, 330 p.[Record]

  • Paul Sabourin

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Les auteurs de ce livre collectif veulent faire émerger un nouveau paradigme interprétatif en histoire du Québec. Ils nous proposent, à l’heure où resurgissent dans les sociétés contemporaines les préoccupations sur le « nous » identitaire, une lecture originale de la démocratie et, particulièrement, de la démocratie québécoise. La thèse avancée est que l’historicité démocratique qui a été associée à la rupture révolutionnaire serait plutôt une historicité de fondation et de refondation. À diverses périodes historiques s’opère « une modification profonde de la vie en société et de l’imaginaire démocratique ». Ces refondations s’inscrivent comme une « quête de péril, d’appartenance, d’excentration et de rénovation de l’héritage » (p. 1). L’énoncé de ce nouveau paradigme interprétatif donne lieu à des réflexions intéressantes sur les visées de connaissance de l’histoire et, dans certaines contributions, celles des sciences sociales. On s’interroge sur le rôle d’historien consacré hier dans la fonction de principal définiteur de l’identité des groupes par l’écriture de grands récits sur le peuple et la nation tels qu’on les voit ressortir de l’historiographie aux XIXe et XXe siècles. Ce rôle étant posé comme révolu par certains, le discours historique d’aujourd’hui demande à être repensé à la fois sur le plan du contenu et de la forme. Un autre récit est-il pertinent et possible ? Un discours qui consacre l’absence des grands récits est-il un horizon indépassable ? Quelle contribution les savoirs savants peuvent-ils amener à la rénovation de l’héritage démocratique ? Si ce collectif donne lieu à des positions différentes sur ces questions, il ressort pour le lecteur des vecteurs communs qui se définissent plus aisément par la négative que par le positif : refus de la téléologie moderniste et de la conception scientiste du métier d’historien, refus aussi du postmodernisme qui, déconstruisant tout, en vient à nier la construction de l’historicité de l’expérience humaine. La dizaine de contributions se partage en trois sections qui suivent généralement un ordre chronologique, celui des moments de refondations de l’histoire québécoise à l’exception de deux contributions qui abordent de façon plus générale la question de la rénovation de l’héritage démocratique. La première section a pour but de montrer que, plus qu’une relecture possible de l’histoire du Québec, la constitution de la société québécoise serait exemplaire de la fondation et de la refondation démocratique en l’absence d’un point d’ancrage révolutionnaire qui aurait pu absolutiser un moment de son histoire. Le texte d’Éric Bédard condense très bien ce « nouveau paradigme » qui veut se distancier de la croyance en une histoire objective et proposer une recherche sur le sens et la forme du travail d’historien à la lumière du linguistic turn, c’est-à-dire de la prise de conscience du caractère contextuel des traces historiques, qu’elles soient matérielles ou textuelles, l’historien se situant enfin dans l’histoire plutôt que de fonder une transcendance sur une téléologie religieuse ou moderniste. La posture intellectuelle de ces historiens est très à propos, car elle réactualise le projet de connaissance de l’histoire à la lumière des acquis des sciences sociales, sans le confondre avec ces dernières. Ce tournant a trop tardé au Québec. Il me semble que cette situation s’explique par le fait que des chercheurs comme Fernand Dumont et Gérard Bouchard, associés à la sociologie, ont procédé dans plusieurs de leurs travaux à l’élaboration de ces grands récits interprétatifs de l’histoire du Québec, s’éloignant ainsi d’une visée de connaissance sociologique pour se positionner plutôt sur le terrain des historiens. Ce collectif a le mérite de faire un pas dans l’éclaircissement des visées de connaissance de l’histoire afin que nous comprenions mieux la spécificité du travail de connaissance …