Comptes rendus

Jacques Palard, La Beauce inc. Capital social et capitalisme régional, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2009, 343 p.[Record]

  • Pierre-André Julien

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Depuis une trentaine d’années, plusieurs livres et de nombreux articles ont été écrits sur le dynamisme économique particulier de la Beauce, malgré sa situation relativement périphérique des grands centres au Québec et son origine purement agricole. Cette Beauce fait partie des régions gagnantes, comme les ont appelées Benko et Lipietz en reprenant ainsi l’idée issue des centaines d’études sur la Terza Italia, régions situées entre Florence et Venise en passant par Bologne. On sait que ces dernières, qui ont été complètement négligées par le Plan Marshall à cause de leur obédience communiste, se sont développées rapidement durant les années 1970-1980 dans des formes de productions à base de coopération-concurrence entre des milliers de petites entreprises. Certains prédisaient que cette structure supposément archaïque, dans un monde où seules les grandes entreprises semblaient capables de soutenir le développement, était finalement destinée à disparaître, comme ce fut le cas ailleurs. La Beauce, aussi négligée avant les années 1960, représente de même un système productif localisé, mais avec toutefois une diversification fort différente des districts industriels italiens et une évolution qui oblige à trouver des explications complémentaires. Divers travaux avaient permis de préciser plusieurs éléments expliquant le phénomène. Le livre de Jacques Palard en fait une synthèse remarquable, tout en soulignant diverses contradictions pour ainsi complexifier l’analyse et surtout expliquer qu’elles posent de nouveaux défis à la région par rapport à la mondialisation et à l’évolution des mentalités chez les Beaucerons. L’auteur commence son travail par une révision des concepts socioéconomiques sur le dynamisme territorial, à partir d’analyses de petits territoires québécois axées sur l’évolution des solidarités locales, comme à Saint-Justin (Léon Gérin), à Saint-Denis-de-Kamouraska (Horace Miner), à Drummondville, (E. C. Hughes), ou encore à Saint-Pascal-de-Kamouraska (G. L. Gold). Il ajoute à ces concepts, par exemple, ceux de Marshall sur l’atmosphère industrielle, de Bourdieu sur le capital social, de Trigilia sur la confiance partagée et les ressources cognitives, ou encore de Granovetter sur l’encastrement. Enfin, il revient sur quelques études sur la Beauce comme celle marxiste de Robert Lavertue, celle sur l’apport de l’investissement étranger de Juan-Luis Klein ou encore celle de Mario Carrier, une application de la théorie de la structuration de Giddens. L’étude de Palard lui permet ainsi de construire sa grille d’analyse pour confirmer qu’en Beauce comme ailleurs, le territoire est un acteur avec lequel les actions individuelles évoluent dans ce cadre social autoconstruit, apportant ressources, marchés, normes ou règles du jeu, sens moral, confiance et don appelant le contre-don. On y trouve ainsi les rapports de pouvoirs et de prestige et la hiérarchisation implicite, et en contrepartie la dépendance ou la subordination, les systèmes d’intégration et de rémunération pécuniaire et sociale. On y explique les formes d’apprentissage collectif ayant permis entre autres le passage de l’agriculture à l’industrie. Cette lente structuration sociale passe par les relations familiales et paroissiales, par l’encastrement dans sa localité, par l’intervention des associations, par les jeux d’équilibre avec l’arrivée d’investissements étrangers et par les réactions des entrepreneurs locaux, nationalistes à leur manière pour avoir, par exemple, apporté leur soutien aux révolutionnaires américains afin de se venger de l’occupation britannique, au moment de l’invasion d’Arnold à l’automne 1775. On y voit comment se résolvent les crises. On comprend comment se construisent les liens forts et faibles et les liaisons avec les pouvoirs politiques locaux et nationaux. C’est le développement d’un système de coopération-concurrence, notamment avec des petites villes et des petites entreprises qui se jalousent, qui se concurrencent, mais qui s’unissent face à l’extérieur pour aller chercher, par exemple, le maximum d’aide gouvernementale. Ce système explique pourquoi tant les instituteurs que les curés et …