Comptes rendus

Simon-Pierre Beaudet et al., La conspiration dépressionniste, volumes I-V, 2003-2008, Montréal, Moult Éditions, 2009, 221 p.[Record]

  • Jean-Philippe Warren

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  • Jean-Philippe Warren
    Département de sociologie et d’anthropologie,
    Université Concordia.
    jphwarren@sympatico.ca

Rarement Recherches sociographiques a-t-elle l’occasion de recenser des revues québécoises, car rarement ces revues se présentent-elles sous la forme d’un livre. C’est la chance que nous offrent ici les collaborateurs de la publication La conspiration dépressionniste, lesquels ont réuni en un seul volume les cinq premiers numéros de leur collectif, agrémentés pour la peine de bulletins, affiches, concours et annonces qui ont mobilisé l’activité de ces jeunes Turcs depuis déjà 2003. Il semble que l’idée de centrer les réflexions autour du thème de la conspiration dépressionniste ait germé pour la première fois dans la tête d’un des collaborateurs qui, alors qu’il étudiait dans un cégep de la région de Québec, s’était aperçu que l’aspect morbide et déprimant des établissements collégiaux découlait d’une décision raisonnée et consciente. Les salles et les corridors de l’établissement d’enseignement suscitaient un profond sentiment d’ennui et de résignation par la volonté même des élites collégiales, celles-ci ayant voulu rendre l’environnement terne et monotone afin de mieux refouler et subjuguer les tentatives toujours possibles de révolte chez les étudiants. Passe encore de procéder avec une telle logique carcérale dans une institution collégiale, mais la situation semblait pire, s’il se peut, une fois parvenu sur les bancs de l’Université Laval. Là aussi, les penseurs du système avaient permis d’élever l’inanité au rang de vertu en baptisant le pavillon de foresterie du nom de la corporation Abitibi-Price, en installant dans les toilettes des cadres publicitaires Zoom-Media, en confiant l’administration de la cafétéria à une multinationale, etc. Tournant le regard vers l’extérieur du campus de l’Université Laval, chacun pouvait constater ailleurs ce même fonctionnalisme anesthésiant, cette même standardisation soporifique, cette même planification sociale de l’ennui. De la banlieue au centre commercial, du bungalow au magasin Ameublements Tanguay, de Richard Martineau à Denise Bombardier ou Jeff Fillion, la laideur étendait sans cesse ses tentacules monstrueux sur la ville. Or, par malheur, les quelques intellectuels de gauche qui osaient élever le ton contre l’idéologie dominante le faisaient avec des accents moraux d’un mielleux insupportables (comme le groupe de musique Loco Locass) ou dans une langue petite-bourgeoise lénifiante et bêtifiante (comme la revue L’inconvénient). Le reste tentait de se rendre intéressant en apportant des nuances (Le Devoir) ou se réjouissait de jouer les back-vocals de la mondialisation (La Presse). Que restait-il à faire, sinon gueuler contre un tel état de fait ? Sinon abandonner l’écriture pour la criture (c’est le nom d’une collection de Moult Éditions, une branche du collectif La conspiration dépressionniste), c’est-à-dire un texte qui tient à la fois du cri et du rire dadaïste ? Quelques étudiants surent se convaincre de la nécessité de lancer une revue. À cette demi-douzaine de personnes s’est greffée, depuis 2003, une myriade d’auteurs et d’illustrateurs. Grâce à l’effort herculéen déployé par les rédacteurs (Simon-Pierre Beaudet, Jean-Sébastien Côté, Mathieu Gauthier, Yannick Lacroix, Jasmin Miville-Allard et Grégory Sadetsky), la revue a réussi à se faufiler sur les tablettes de quelques librairies indépendantes ou lors d’une poignée d’événements spéciaux, mais, dernièrement, il fallut se rendre à l’évidence : le public se faisait de plus en plus rare pour les quatre cents exemplaires de chaque tirage, alors même que la revue se bonifiait et gagnait en qualité graphique. De là l’idée d’éditer en un seul bloc les premiers numéros. Ce que la revue propose, c’est un massacre en règle de la bêtise et de la laideur de la société québécoise, et ce, à grands coups de textes lapidaires, de poésie, de fiction, de collages, de dessins et de montages. Les collaborateurs en ont contre la niaiserie omniprésente. Ceux qui ne connaissaient …