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L’année 1969 a été marquée par la fondation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). En 2009, à l’occasion du quarantième anniversaire de cette institution, trois professeurs à la retraite de cette université publient un ouvrage qui se veut une sorte de reconstitution de sa mise au monde à travers des entrevues avec des acteurs clés, des documents d’archives et des repères chronologiques de divers ordres. D’entrée de jeu, ils prennent bien soin de préciser que leur livre ne trouve pas son origine dans une commande extérieure et qu’il est né de leur désir partagé de se rappeler la mise en place de l’UQAM, afin de mieux faire connaître cette période importante tant à ceux qui appartiennent ou ont appartenu à cette institution qu’à ceux qui l’ont vue évoluer de l’extérieur. Ce livre repose essentiellement sur une présentation ordonnée de matériaux bruts dont les entretiens occupent la place centrale. Il comprend trois parties correspondant pour chacune à une étape de la gestation de ce projet d’université nouvelle et de sa réalisation.

Selon les auteurs, faire l’histoire de la naissance de l’UQAM exige de connaître d’abord celle de la création de l’Université du Québec (UQ). C’est l’objet de la première partie du livre qui présente les témoignages de certains acteurs clés racontant le rôle qu’ils y ont joué et la vision qui les animait. Le témoignage d’Yves Martin, alors sous-ministre adjoint au ministère de l’Éducation du Québec et présenté comme le père de l’université publique en réseau, côtoie celui de Pierre-Yves Paradis, directeur de la formation des maîtres et membre du Comité directeur de la réforme de l’enseignement universitaire, et celui de Pierre Martin, gestionnaire de projet, tous deux hauts fonctionnaires de ce ministère. L’on y apprend que P. Martin figure comme celui qui, de tous les pères de l’Université du Québec, a été le plus directement et le plus longuement impliqué à toutes les étapes de la mise en place de l’Université du Québec et de l’UQAM. Le ministère lui confie l’animation de la première équipe « Recherche et développement » chargée de mettre en place l’UQ sous forme de réseau et l’UQAM, en tant que constituante de ce réseau et deuxième université de langue française à Montréal.

La seconde partie du livre porte sur la contribution de l’Université du Québec à la mise en place de l’UQAM. Pierre Martin y est interviewé cette fois en tant que vice-président à la planification et rédacteur des règlements généraux de l’UQ, et Louis Berlinguet, à titre de vice-président à la recherche. Constatant très tôt la quasi-absence de chercheurs chevronnés au sein des institutions appelées à former l’Université du Québec, celui-ci juge presque impossible la réalisation de sa mission d’amener rapidement l’UQ à occuper une place significative en recherche. Il propose donc la création, au sein du réseau de l’UQ, d’une nouvelle constituante dédiée à la recherche. C’est ainsi que l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) voit le jour dès 1969. D’autres solutions furent envisagées pour développer la recherche. C’est ainsi que le premier ministre Daniel Johnson fit appel au général de Gaulle et aux universités françaises qui réussirent à recruter quelques centaines de professeurs-chercheurs prêts à venir travailler quelques années au Québec. La direction de l’Université du Québec ne put donner suite à l’offre de la France pour des raisons évoquées dans cet entretien. C’est un bel exemple de l’histoire moins connue de la création de cette institution que les entretiens nous font découvrir.

La troisième partie de l’ouvrage aborde directement la naissance de l’UQAM et s’intéresse aux caractéristiques fondamentales du processus ayant mené à sa création. Les acteurs clés retenus par les auteurs pour en rendre compte appartiennent essentiellement à deux catégories organisationnelles : la première direction de l’UQAM et la première direction du Syndicat des professeurs de l’Université du Québec (SPUQ) et celle du Syndicat des employés de l’Université du Québec à Montréal (SEUQAM). Les instances proprement universitaires et les acteurs qui y oeuvrent et qui sont au coeur de la constitution d’une université ne sont pas présentés dans ce livre et on ne peut que le déplorer. On pense ici à la Commission des études, aux départements et aux modules, une innovation pourtant du point de vue de l’organisation universitaire traditionnelle. Rien n’est rapporté sur la place accordée à la participation étudiante à la vie universitaire ou sur l’intégration des adultes dans les classes et programmes réguliers, là aussi des nouvelles façons de faire par rapport aux universités existantes. On aurait souhaité des entretiens avec des directeurs ou directrices de départements et de modules et des professeurs de la première cohorte, d’autant plus que la vision cogestionnaire était très présente dans la forme organisationnelle proposée pour le fonctionnement des instances universitaires. D’anciens étudiants impliqués dans les associations étudiantes auraient pu faire l’objet d’entrevues regroupées.

Léo A. Dorais, premier recteur de l’UQAM, est décrit comme un recteur contestataire à la tête d’une institution à bâtir en trois mois. Il verra dans le mandat qui lui est confié l’occasion « de mettre en application [...] sa conception de l’apprentissage et de l’université réformée, urbaine, intégrée dans la ville, ouverte, souple, démocratique et participative, capable de répondre aux besoins changeants des populations étudiantes, dans le complexe marché de l’enseignement universitaire montréalais […] et différente des trois universités montréalaises déjà en place » (p. 64-65). Il croit aussi que l’université doit être un des principaux agents de changements au sein de la société. Cependant, il se rendra vite compte que le train de l’UQ est déjà en marche, réduisant ainsi sa capacité de mise en oeuvre de sa vision. Il devra se résigner à tenter de tirer le maximum des services en provenance du siège social de l’UQ, de même que du maigre budget qui lui est confié, et à composer avec les ressources professorales et de soutien provenant des institutions fondatrices de l’UQAM. Quarante ans après, il reconnaît que, malgré les difficultés énormes rencontrées dans la gestion opérationnelle, plusieurs indicateurs de réussite au plan pédagogique étaient déjà au rendez-vous, mais rarement furent-ils pris en compte.

Godefroy-M. Cardinal, qui a occupé plusieurs fonctions entre 1969 et 1971, dont celle de vice-recteur exécutif, est défini comme un acteur polyvalent, désireux de participer à l’intégration de la formation des maîtres à l’UQAM. À son avis, les difficultés d’intégration des écoles normales furent sous-estimées. Si le recteur Dorais et les enseignants en provenance du Collège Sainte-Marie envisageaient la mise sur pied d’un nouveau modèle d’université, Cardinal pensait, en contrepartie, que la nouvelle institution devait se situer dans le prolongement de la mission des écoles normales et de l’École des beaux-arts. Par ailleurs, force est de constater, selon lui, que, compte tenu de l’énorme travail à accomplir pour mettre sur pied l’UQAM, il devenait difficile de s’investir en même temps dans le fonctionnement de type réseau proposé par l’Université du Québec. Lise Langlois, à titre de secrétaire générale, avait la responsabilité de la gestion des instances institutionnelles, des archives, du contentieux et des relations de travail. C’est à elle que sera confiée la lourde responsabilité de mener les premières négociations avec les syndicats qui conduiront à la signature des premières conventions collectives. Du côté syndical, des entretiens regroupés ont été réalisés auprès de Louis Gill, Jean-Marc Piotte et Paul Thibault, en tant que porte-parole du SPUQ, ainsi qu’avec Louise Miller, Christiance Fabiani et Guy Goulet, représentant le SEUQAM. Ils rappellent les principaux faits et le contexte de la mise en place de ces deux syndicats ainsi que les objectifs poursuivis dès le départ autour de la défense des conditions de travail, de la stabilisation des emplois, de la définition des tâches et du droit de recours à la grève. Historiquement, la création de ces deux syndicats fut reconnue comme une première dans le monde universitaire et syndical au Québec et au Canada.

En plus des témoignages, chaque partie intègre quelques documents officiels, des photos et des tableaux de repères chronologiques. Il est difficile, cependant, de cerner la méthode qui a présidé au tri des événements retenus qui relèvent de niveaux macro et micro, en même temps que des pans majeurs de la dynamique économique et sociale y sont ignorés. Par ailleurs, les auteurs n’exposent pas davantage la problématique et la méthodologie qui ont guidé le choix des personnes interviewées comme autant d’acteurs clés et celui des documents d’archives recensés, comme cela se fait habituellement dans les ouvrages d’historiens. Faire l’histoire des institutions requiert d’adopter une posture de mise à distance et de proposer une lecture interprétative, au-delà du tri des événements ou de la retranscription d’entrevues. À cet égard, cet ouvrage nous laisse sur notre appétit et il faut souhaiter que le travail entrepris se poursuive, car l’histoire de nos institutions est vitale à toute compréhension du développement de la société québécoise.