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À Sorel, en 1937, trois grèves successives opposent un syndicat ouvrier nouvellement formé à Marine Industries dirigé par les trois frères Simard. Les enjeux sont les salaires, beaucoup plus faibles que dans les entreprises similaires au Canada, la semaine de travail (55 heures, alors qu’ailleurs elle est de 48 heures) et la reconnaissance syndicale. D’un côté, la famille Simard a l’appui d’une clique qui domine l’économie (propriétaires d’industries et de commerces) et la politique (administration municipale et scolaire, en plus des retombées des deux ordres de gouvernement). Cette élite, alliée aux Simard, obtient l’aval du gouvernement de Duplessis qui enverra à Sorel la police provinciale lors de la troisième grève qui durera cinquante jours. De l’autre, le syndicat est appuyé par la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) : Philippe Girard, président du Conseil central de Montréal, deviendra le principal organisateur et négociateur du syndicat durant cette grève, quoique le soutien du président de la CTCC, Alfred Carpentier, soit plus mitigé. Il jouit également de l’appui soutenu de Mgr Desranleau, curé de la Paroisse Saint-Pierre, avec l’accord de son évêque, Mgr Decelles. Enfin, deux députés qui quittent le gouvernement Duplessis, Oscar Drouin et Philippe Hamel, s’associeront à leur cause.

Le règlement obtenu à l’issue de la dernière grève stipule que la compagnie réengage prioritairement les grévistes, plutôt que les scabs, et leur offre des augmentations salariales. Mais l’horaire de travail demeure le même et le syndicat n’est pas reconnu. Trois protagonistes disparaissent dans les mois qui suivent : Mgr Desranleau est nommé évêque-coadjuteur du diocèse de Sherbrooke ; le maire de Sorel, J. W. Robidoux, est battu aux élections municipales ; le syndicat de Marine Industries est dissous. Le syndicalisme reviendra à Sorel durant la guerre. Celle-ci exigeant une main-d’oeuvre qui est de plus en plus réduite, le gouvernement fédéral passera des lois favorables aux syndicats. Il sera ensuite imité par le gouvernement libéral de Godbout élu au Québec en 1944. Mais cette syndicalisation se fera au bénéfice des succursales de syndicats états-uniens affiliés au Congrès des métiers et du travail au Canada (CMTC), dont est membre la Fédération provinciale du travail du Québec (FPTQ),

L’essai de Jacques Rouillard est, comme ses autres ouvrages, bien documenté et écrit de façon claire. Toutefois le sous-titre indiquant que ce n’est pas le syndicat qui affronte Marine Industries, mais Mgr Desranleau, ainsi que l’importance accordée à celui-ci par rapport au principal organisateur syndical, Philippe Girard, semblent indiquer que le livre répond à une commande plutôt qu’à une initiative de l’auteur. Mais cela n’enlève rien à la qualité de l’ouvrage.